Les livres de nov – déc 2020

IMPOSSIBLE ICI

Sinclair Lewis

La Différence, 377 pages

Première édition parue en 1935 sous le titre « Impossible here »

Prix Nobel de littérature, Sinclair Lewis a écrit cette fable alors même que Hitler était sur le point de prendre le pouvoir. A la question de savoir si un tel évènement pourrait se passer aux Etats-Unis, sa réponse fut « OUI ». C’est ce que cette fable veut montrer. L’auteur s’attache tout particulièrement à la situation des classes moyennes, à leur grande porosité aux idées simplistes et dangereuses.

Cela ne vous rappelle-t-il rien ?

Vous serez surpris par la finesse des analyses et par l’intemporalité des populistes. Toujours les mêmes slogans, toujours les mêmes boucs émissaires, c’est-à-dire les juifs et les « socialo-communistes ».

C’est d’une lecture « édifiante ». Lewis montre parfaitement que la chose la plus difficile à défendre  est bien la démocratie.

Très intéressant

LA VIE JOUE AVEC MOI

David Grossman

Seuil, 329 pages

Voilà une histoire bien difficile à présenter ! En effet, nous ne voudrions pas la raconter. Par ailleurs, comment dépeindre ces quatre personnages qui se débattent dans des souffrances sans fin ?

Trois femmes, trois générations meurtries : la première, par un long séjour dans un camp de concentration yougoslave. La seconde, sa fille, par « l’abandon » de sa mère. La dernière, enfin, la petite-fille, elle aussi abandonnée par sa mère et élevée par son père et sa grand-mère. Véra (90 ans), Nina, Guili. En compagnie du père de Guili, elles partent en Croatie pour visiter le camp, là où tout a commencé. C’est un voyage dans la mémoire de Véra, dans l’instabilité permanente de Nina et dans l’exacerbation des sentiments de Guili à l’égard de sa mère.

Grossman s’est inspiré d’une histoire vécue. Il a sublimé les personnalités de ses quatre personnages, en faisant ainsi de son intrigue un mouvement permanent dont on croit ne pas voir la fin.

Bonne lecture !

PS  : La traduction m’a parfois gênée

ETOILES VAGABONDES

Sholem Aleichem, trad. du yiddish par J Spector

Tripode, 600 pages 

Les éditions Tripode nous offrent un beau cadeau de Hanoukah :  la traduction d’un feuilleton paru à New-York entre 1909 et 1911. Jean Spector a accompli un travail irréprochable.

Etabli en Amérique à partir de 1905,  Sholem Aleichem, inspiré par son expérience, peint une vaste fresque du théâtre yiddish. Depuis les troupes ambulantes qui parcouraient les routes et les chemins de l’Europe de l’Est, jusqu’à leur installation à New York. C’était là qu’il fallait être. La jeunesse aspirait à la célébrité, les directeurs de théâtre à la richesse.

On retrouve dans ce chef-d’oeuvre tout ce qui fit le succès de son auteur : la langue yiddish, en majesté ; sa saveur, ses expressions, son humour, ses jurons inimitables et variés… Les personnages typiques du shtetl, avec leur statut bien établi (le pauvre chantre, le riche « entrepreneur »). Ce ne sont pas des stéréotypes, ils sont complexes, parfois même roués, se débattent dans des soucis bien réels, avec leurs qualités et leurs défauts ; Sholem Aleichem les aime tous ; nous aussi. Quant à elle l’intrigue est pleine de surprises (n’oublions pas qu’il s’agit d’un feuilleton), de détours pittoresques, mais elle est bien plus que cela : c’est une vision réaliste d’un changement d’époque lequel imprègne le théâtre. Celui-ci va se professionnalisant. La chansonnette, le vaudeville simpliste, vont peu à peu faire place à la véritable comédie musicale et au texte littéraire.

Cette œuvre maîtresse est une véritable découverte pleine de richesses à savourer lentement, pour en apprécier toutes les facettes.

SOUS LE SIGNE DU CORBEAU

Amir Gutfreund

Gallimard, 302 pages

Cette histoire commence sous le signe du corbeau, oiseau de malheur : tout accable notre héros sans nom. Il a perdu son travail et son amie. Son père n’est plus là, désormais enterré au cimetière de Haïfa.

Désoeuvré, il écoute la radio et apprend ainsi la disparition d’une jeune fille.

N’ayant rien de mieux à faire, il s’engage parmi les volontaires recrutés pour participer aux recherches. C’est alors que sa vie bascule.

Gutfreund dresse le portrait d’un « innocent » qui s’adapte mal à la société dans laquelle il vit. C’est une personnalité complexe à la fois géniale, selon son frère, tout à la fois naïve et très attachante. Nous suivons donc ses aventures avec empathie et parfois amusement.

Bon roman pour tous

LES POLONAIS ET LA SHOAH, une nouvelle école historique 

Auteurs : Audrey Kichelewski, Judith Lyon-Caen, Jean-Charles Szurek, Annette Wiewiorka

CNRS éditions, 319 pages

Ce recueil reprend les interventions des historiens ayant participé au colloque de février 2019, lequel a eu lieu à l’EHESS. Son sujet : « la nouvelle école polonaise d’histoire de la Shoah ».

Il arrive à point nommé, c’est-à-dire au moment où le gouvernement polonais nationaliste réécrit l’histoire afin de glorifier le comportement héroïque des Polonais durant la guerre.

Le point de départ de cette « controverse » est la sortie du livre de Jan Gross « Les Voisins », sur le massacre de Jedwabne. Pour mémoire, l’auteur a pu démontrer que ce ne sont pas les Allemands qui ont massacré les juifs de la bourgade en les enfermant dans une grange et en les brûlant. CE SONT LES HABITANTS. Les nouveaux historiens « dévoilent » la participation active d’une partie de la population à la chasse aux juifs.

Les Voisins a suscité une onde de choc en Pologne et ses retombées perdurent encore. Les nouveaux historiens polonais s’attachent donc à une rude tâche : s’attaquer à un mur de silence et de déni. Leur enquête va plus loin, car elle montre que l’antisémitisme des campagnes est toujours vivace.

Une œuvre salutaire et qui fera autorité.

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