Les livres de mars – avril 2021

HISTOIRE DES JUIFS : UN VOYAGE EN 80 DATES DE L’ANTIQUITE A NOS JOURS

sous la dir. de Pierre Savy

PUF, 586 pages

Les nombreux historiens qui ont participé à la rédaction de cette « somme » peuvent tous faire valoir leur renommée. Tous ont su exprimé la quintescence de leur savoir : cela donne un texte synthétique et clair pour chacune des dates évoquées.

L’ouvrage est divisé en trois parties ; chacune d’entre elles sous la direction d’un.e spécialiste : Katell Berthelot pour Le Temple et l’Exil, Pierre Savy pour Du Moyen Age à l’émancipation, enfin Audrey Kichelewski pour De 1791 à nos jours.

Dans chacune des parties, les auteurs ont retenu des dates significatives dont certaines ont le mérite d’être souvent méconnues du grand public ; exemple : la première loi antisémite (hongroise) de l’Europe d’après-guerre. Si l’on se réfère aux premiers livres d’histoire des juifs, le constat est que le point de vue a changé. La prise en compte des recherches les plus récentes, des découvertes archéologiques rendent ce livre novateur, lui conférant un « langage » contemporain (ainsi en est-il de la « question khazare », par exemple). Le livre contient aussi des bibliographies, un index des noms, des lieux, des mots-clés, ainsi qu’une présentation des auteurs.

Cet ouvrage de fonds est vraiment le bienvenu.

 

 

ILS ONT TUE LEO FRANK

Xavier Bétaucourt et Olivier Perret

Éd Steinkiss, ca 110 pages

Nos lecteurs du Centre Medem lisent plutôt des romans. Cependant, cette bande dessinée mérite que l’on s’y intéresse : mise en images et en bulles, c’est l’histoire de Léo Frank, lynché en Géorgie (US) dans les années 1915. Honnête patron juif d’une petite entreprise, il est accusé d’avoir violé et tué une jeune ouvrière de 14 ans. Le principal témoin est un gardien noir, le véritable meurtrier. L’enquête est menée d’une façon inique, les juges et jurés sont sous la pression de la populace qui réclame la tête de Frank, excitée par des journaux proches du KKK. Frank est jugé coupable et enfermé dans la prison. Il en sera extirpé par quelques « braves citoyens » qui veulent sa tête, pour être pendu en présence de représentants de la justice et autres édiles.

Cette BD est un « docu-fiction » passionnant, qui met en scène tous les protagonistes ; violents, lâches, parfois hésitants… L’histoire nous est contée par un témoin, lequel n’a pas eu le courage de témoigner, de peur d’être lynché. Ce n’est qu’en fin de vie qu’il se confie à deux journalistes.

Les couleurs qui vont du jaune au brun en passant par l’ocre renvoient au passé, mais aussi à la violence. Les « trognes » sont emplies de haine, les bouches hurlantes…

Excellente BD, à recommander

Pour en savoir plus sur cette affaire lire : L’ Affaire Léo Frank : Dreyfus en Amérique de  Kuperminc Victor aux éditions L’Harmattan – livre présent à la bibliothèque.

 

 

 

 

 

 

QUITTER PSAGOT

Yonatan Berg 

L’Antilope, 253 pages

Psagot est une petite colonie sauvage implantée à la limite de Ramallah. C’est là que Yonatan Berg a passé sa jeunesse, avant de partir faire son service militaire. Devenu écrivain après avoir un peu bourlingué dans le monde, il nous livre ses réflexions sur le choc qu’il a éprouvé en quittant le monde chaleureux mais factice de sa jeunesse.

Dans Psagot, il n’y a pas de place pour le doute. Profondément religieuse, cette petite enclave entourée de fils de fer barbelés vit repliée sur soi. Pas tout à fait puisque l’armée veille sur elle. Les enfants y vivent heureux et sereins, leurs journées strictement organisées, avec un encadrement rigoureux. Aucun colon, petit ou grand, ne regarde du côté des Palestiniens. Au point que Yonatan ne découvre le camp de réfugiés qui jouxte Ramallah que longtemps après être parti. Sa première expérience du monde extérieur, c’est le lycée, à Jérusalem. Puis il part ;  d’abord à l’armée, puis à la découverte du reste du monde. Progressivement, il remet en question sa vision idyllique de l’enfance, en découvrant d’autres points de vue, d’autres modes de vie.

Il ne s’agit nullement d’un pamphlet, contrairement à ce qu’écrit le Time Israël. Pas de dénonciation, pas d’acrimonie non plus. Plutôt un constat mélancolique : les colonies ne règleront rien. Elles survivent en dehors de la réalité, ne subsistant qu’avec la complicité de l’état. Il faudra bien que l’aveuglement cesse.

Très émouvant, ce récit décrit la situation insoluble actuelle avec beaucoup de sensibilité. Excellent

 

 

 

 

 

LA DERNIERE INTERVIEW

Eshkol Nevo

Gallimard, 480 pages

Le narrateur est un  écrivain qui ressemble beaucoup  à l’auteur (il est, comme lui, le petit fils de feu le 3ième premier ministre d’Israël, celui de la Guerre des Six jours, Levi Eshkol)  ; il doit répondre à un vaste questionnaire dressé par un mystérieux webmestre à partir d’un large panel d’internautes.

Les réponses au questionnaire sont le moyen pour le narrateur de  nous raconter des épisodes de sa vie, sans cohérence apparente avec le sens originel de la question posée.

A travers ses réponses, se dévoile le portrait d’un homme chez qui, derrière une façade de réussite, tout part en lambeaux  : sa «  dysthymie  » (trouble de l’humeur défini par un état dépressif chronique) qui  prive l’écrivain de son  inspiration , ses rapports difficiles avec son épouse tant aimée Dikla, ses trois enfants, dont l’aînée, réfugiée dans un campus au sud d’Israël, se refuse à tout contact avec lui depuis que sans lui demander son avis, il l’a placée dans un de ses livres, son meilleur ami qui se meurt d’un cancer,  les souvenirs de la guerre du Liban, un tortueux et cynique homme politique, Yoram Sirkin, pour qui il doit, malgré tout, rédiger des discours, esquisser un parcours, donner des idées. C’est tout l’Israël contemporain qui se dévoile : la question des «  Territoires  » , des voisins,  avec un improbable périple à Damas en Syrie via Izmir en Turquie, le cynisme d’un homme politique dont on devine le modèle .

Roman passionnant,  jalonné de sourires, d’émotion et d’un humour noir et tendre qui tient en haleine jusqu’à la dernière ligne. En dressant ainsi le portrait auto-fictionnel d’un écrivain, c’est en creux le portrait d’un pays tout entier que dessine Eshkol Nevo, un pays lui aussi pétri de contradictions.

Roman qui se dévore de bout en bout ….

 

 

 

SATURNE

Sarah CHICHE

Le Seuil, 208 pages

Avec Saturne, la romancière et psychanalyste Sarah Chiche raconte son histoire et celle de sa famille, tragique, qui l’a autrefois plongée dans une dépression sévère, puis comment, grâce au spectacle de quelques images en Super 8 exhumées par sa mère, et surtout grâce à l’écriture, elle a survécu.

Le livre s’ouvre en 1977 sur une scène tragique, celle de la mort d’un homme de 34 ans dans une chambre d’hôpital. Celle qui raconte l’histoire est sa fille, 15 mois au moment du décès. Dans les jours qui suivent, on ne prend pas la peine de dire au bébé que son papa est mort. Bien des années plus tard, en 2019 à Genève, elle croise par hasard une femme qui a connu son père, son oncle et ses grands-parents en Algérie. Elle est troublée. Au retour, elle plonge dans les souvenirs du passé.

Comme dans un film où les images défilent à la vitesse du train, elle saisit des instantanés de l’enfance de son père : années 50, Alger, son père Harry grandit avec son frère aîné Armand, et ses parents Louise et Joseph. Ils ont riches. Dans la famille les hommes sont médecins de père en fils dans des cliniques qui leur appartiennent. La famille, juive, « ne faisait pas partie des colons français mais vivait sur ces terres depuis qu’ils avaient été chassés d’Espagne au XVe siècle ». Une vie fastueuse jusqu’à la guerre d’Algérie, puis c’est l’exil en France.

En grandissant, Harry est celui des deux fils qui ne répond pas aux attentes familiales, flambeur, amoureux des femmes et préférant le jeux aux études médicales. Puis il rencontre Eve, amour fou et mariage contre l’avis de la famille. La leucémie se déclare quelques mois plus tard, juste après la naissance de leur fille. La mère reste seule avec son enfant, dans une famille qui la déteste, et réciproquement.. Elle finira par être séparée de cette branche de la famille par sa mère, qui s’est remariée, a eu une autre fille. A 26 ans, l’annonce de la mort de sa grand-mère la plonge dans une dépression sévère, qui manque de l’emporter.

L’histoire d’une enfance déchirée par la haine des adultes, dont elle a été la victime.

Saturne est un texte mélancolique et bouleversant.

Août 61

Sarah Cohen-Scali

Albin Michel, 480 pages

Ben, atteint Alzheimer reconnaît difficilement ses proches.

Il va se retourner sur son passé douloureux dans l’Allemagne en guerre, celle de l’après-guerre, puis sur sa vie en Angleterre et en France dans les années 50.

Il n’a jamais oublié Tuva, son amour d’enfance, née dans un lebensborn et qu’il revoit Berlin en 1961 alors que la RDA commence à construire « Le » mur…

 

LES PATRIOTES

Sana Krasikov

Albin Michel, 594 pages

Analyses de deux lectrices de ce livre

Ida

Ce premier roman touffu retrace l’histoire de ces Américains qui ont émigré en Union Soviétique par idéalisme, dans les années 1930.

Le principal personnage, Florence, rejoint Magnitogorsk en 1934, pour une raison qu’elle se refuse d’avouer : sans l’avertir, elle veut rejoindre un certain Serguéi dont elle a fait la connaissance à Cleveland. Celui-ci faisait partie d’une délégation commerciale russe. Si nous faisons allusion à cet aveuglement, c’est que ce trait de caractère a une grande importance dans l’histoire ô combien tourmentée de son existence. Florence devra sans cesse trouver de bonnes raisons de rester vivre en URSS. En fin de compte, le seul moment où elle se sentira en sécurité, c’est lorsqu’elle sera nommée femme de ménage !

D’autres juifs de son entourage sont plus lucides. A commencer par son mari. Entre 1930 et 1952, la situation des juifs empire considérablement : le comité juif antifasciste créé par Staline pour obtenir l’aide américaine est décimé dès la fin de la guerre. La venue de Golda Meyerson lors de la création de l’état d’Israël donne lieu à des arrestations qui n’étonnent personne.

L’étau se resserre sur Flora et sa famille ; la vie de son fils lui important plus que tout, elle commet l’irréparable, avec une mauvaise foi terrifiante. Nous n’en dirons pas plus. Les « refuzniks », comme on le sait, finiront par obtenir la liberté.

Impossible à résumer tant l’histoire est foisonnante, elle nous laisse un goût amer. Tous ces émigrés pleins d’idéal ont payé très cher leur « aveuglement ». Ils ont voulu y croire, envers et contre tout et beaucoup y ont laissé leur vie.

Nous sommes en 2021. Ce roman, cette somme, devrait-on dire, sommes-nous encore capables de bien le comprendre ?  Intéressant et émouvant.

Yaël

Ce premier roman touffu retrace l’histoire des Juifs américains qui sont partis par idéalisme en Russie après la révolution d’Octobre.

Ce qui est intéressant dans le livre c’est qu’à travers trois générations de personnages il révèle des aspects sur l’histoire des Juifs d’Union soviétique (théâtre juif, comité antifasciste), sur la relation entre Staline  et Roosevelt et  sur l’attitude ambigu de celui-ci vis-à-vis des Soviétiques.

Le livre est alimenté par  les évènements historiques et sur l’abondante bibliographie citée en fin d’ouvrage.

Ce livre a une construction littéraire sur une énigme qu’on a de cesse de  découvrir.

Les histoires qui se mêlent en flash-back donnent un rythme au livre et un plaisir au lecteur.

Ce roman débuté au début du 20ème siècle se poursuit  jusqu’à nos jours et intéresse les nouvelles couches de lecteurs car les plus jeunes peuvent se reconnaitre dans les personnages de la dernière génération. Il y a deux clés de lecture qui satisfont deux lectorats, un trentenaire et la génération plus âgée et son histoire personnelle. Tout le monde y trouve son compte. C’est passionnant et instructif.

 

 

Et toujours disponible les indispensables de février

MOI, DITA KRAUS, LA BIBLIOTHECAIRE D’AUSCHWITZ

Dita Kraus

Michel Lafon, 411 pages

Le titre laisse entendre qu’il y aurait eu une bibliothèque à Auschwitz ! Ce qui est faux, bien entendu. A quoi fait-il donc référence ? A quelques lignes dans le texte. C’est donc un titre « accrocheur » inapproprié pour ce sujet. Le titre original est « A DELAYED LIFE », c’est-à-dire une vie retardée.

Ce texte autobiographique raconte la vie de Dita Kraus, née à Prague en 1929. Déportée avec toute sa famille à Therezin, elle passera par plusieurs camps avec sa mère avant la libération par les Anglais. Seule rescapée, elle partira en Israël avec un groupe de jeunes.

Dita Kraus a gardé intacts ses souvenirs d’enfance et d’adolescence ; c’est tout l’intérêt du livre. Elle se souvient avoir été choyée et protégée, sa mère étant restée à ses côtés aussi longtemps qu’elle a pu : elle meurt quelques semaines après la libération des camps. Restée seule et perdue, Dita sera à nouveau prise en charge.

Ce récit, écrit avec un grand détachement, montre bien que les adolescents, aidés et encouragés par les déportés adultes, vivaient la déportation à leur façon, avec une certaine dose d’inconscience qui leur permettait de survivre.

PARTAGES

André Markowicz

Incultes, 444 pages

Le sous-titre indique que ce livre est un recueil de chroniques tenues entre 2013 et 2014.

Bien qu’écrites il y a six ans, ces chroniques n’en sont pas moins intéressantes : les sujets évoqués n’ont que peu de rapport avec l’actualité. André Markowicz nous plonge dans ses préoccupations de traducteur, de découvreur de littérature russe. Il se livre à nous à cœur ouvert, avec  naturel et simplicité. Cet ouvrage ne nécessite pas une lecture suivie. Bien au contraire : on l’ouvre à n’importe quelle page, et on a la surprise de tomber sur un poème de Daniil Kharms, ou sur des considérations concernant Israël, ou bien encore sur l’histoire de sa famille lors du siège de Saint-Petersbourg (Leningrad). C’est à la fois riche et foisonnant.

A découvrir.

LES OXENBERG et les BERNSTEIN    

Catalin Mihuleac

Editions Noir sur Blanc, 304 pages

C’est l’histoire d’une famille de juifs américains les Bernstein qui a réussi à Washington dans les années 1970 grâce au commerce en gros de  vêtements vintage.

Soixante ans plutôt les Oxenberg achèvent de se hisser parmi la bonne société de Iași en Roumanie, Jacques le père est le meilleur obstétricien de la région, ils ont deux enfants, mais dehors les voix de la haine se mettent à gronder.

En 2001 Dora Bernstein et son fils Ben se rendent à Iași, et les deux histoires vont se rencontrer  entre zones d’ombres de la mémoire collective et secrets de famille

L’auteur avec une force narrative très originale et imparable évoque l’un des plus grands tabous de l’histoire roumaine contemporaine, le pogrom de Iași le 29 juin 1941.

On a du mal à interrompre la lecture du livre tant l’auteur nous souffle le chaud et le froid: on a souvent envie de rire et parfois de pleurer quand on suit pas à pas la sinistre journée d’été qui a abouti à la destruction d’une partie de la communauté juive de Iași.

UNE MAISON TRES SPECIALE

Maurice Sendak

Mémo, 30 pages

Maurice Sendak est mort il y a quatre ans. De son vivant, il était reconnu comme le plus grand illustrateur de littérature jeunesse américain, voire mondial.

Né dans une famille juive venue de Pologne, il a débuté très jeune, en mettant en scène des enfants pleins de gaieté et d’imagination. Peu ou pas de couleur, pas d’arrière-plan ; de simples silhouettes d’enfants rieurs ou jouant la comédie, laissant libre cours à leur imagination.

Au fur et à mesure qu’il gagnait en célébrité, il a abordé des sujets plus divers, et parfois plus graves, comme dans l’album « On est tous dans la gadoue », sur la misère et la pauvreté. Dans le même temps, il a radicalement changé de technique, s’inspirant de peintres européens. Son album le plus célèbre est sans doute « Max et les Maximonstres ».

Les éditions Mémo viennent de rééditer un album de sa première inspiration. Il s’agit de « Une maison très spéciale », écrit par une de ses complices Ruth Krauss. Ce qui rend cet album irrésistible, c’est sa traduction : Françoise Morvan a réussi un tour de magie, donnant au texte français la légèreté, la musicalité et la vivacité du texte américain. L’accord entre le texte et l’image est une telle réussite que l’on pourrait croire qu’il s’agit du texte original. Saluons une fois de plus le génie de Sendak, ce fin observateur de l’enfance.

Magnifique album

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