Judéité, laïcité, citoyenneté

Disons-le d’emblée : malgré les vicissitudes de leur histoire au sein de notre pays (notamment l’antisémitisme de l’affaire Dreyfus et celui des années du nazisme), les juifs ont acquis un statut tout à fait satisfaisant et honorable, à l’égal des autres communautés confessionnelles.
Dans le paysage laïc de la France républicaine, ils peuvent concilier, sans problèmes majeurs, leur fidélité à leur foi ancestrale et leur citoyenneté.

Les décisions du Grand Sanhédrin de 1807 avaient permis de sauvegarder à la fois la judéité, la laïcité et la citoyenneté de nos ancêtres du XIXe siècle. Aujourd’hui, au nom d’une laïcité mal interprétée, certains de nos coreligionnaires présentent des exigences peu conformes à l’esprit qui animait les rédacteurs du Grand Sanhédrin.

Le Talmud lui-même avait déjà énoncé le fameux principe : Dina demalekhouta dina « La loi du royaume (de l’État) est la loi », au nom duquel le juif est tenu de se soumettre à la loi civile de son pays dans la mesure où elle ne le contraint pas à des actes immoraux (meurtre, adultère, idolâtrie).

Mais alors, comment comprendre les demandes de saisine de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), de la part d’associations juives ? Créée en 2004, la Halde a pour mission générale, rappelons-le, de lutter contre les discriminations prohibées par la loi, de fournir toute l’information nécessaire, d’accompagner les victimes, d’identifier et de promouvoir les bonnes pratiques pour faire entrer dans les faits le principe d’égalité. Il ne semble pas a priori que les demandes de saisine enregistrées ces derniers mois, en provenance des dites associations juives, entrent vraiment dans le cadre de discriminations ou d’atteintes à la liberté.

En France, chacun peut revendiquer son identité sans oublier sa citoyenneté. Ce qui est demandé à chacun est de s’intégrer à la communauté nationale, non de s’assimiler.
Cette nuance est essentielle : elle est de nature à rassurer les membres de toutes les minorités nationales sur le fait que la République ne leur demande pas de disparaître culturellement ou religieusement, mais, tout en conservant leurs traditions, d’assumer une citoyenneté loyale et raisonnable.

C’est, nous semble-t-il, ce qu’avaient bien compris les membres du Grand Sanhédrin de 1807 ; c’est ce que certains ne semblent plus comprendre aujourd’hui, accumulant des exigences de moins en moins compatibles avec une véritable citoyenneté. Leur prise en compte par les pouvoirs publics irait à l’encontre de la laïcité française à laquelle nous sommes très attachés.

Quelques exemples recueillis dans le compte-rendu d’une visite du ministre de l’Intérieur et des Cultes, le 22 novembre dernier au Consistoire de Paris par le mensuel Information juive. Parlant des «préoccupations essentielles (…) pour la communauté juive», un des articles énonce entre autres : « la fiscalité des dons, la cacherout (…), les places dans les carrés confessionnels juifs dans les cimetières (…), le calendrier des examens pour les élèves et les étudiants juifs (…), la nourriture cachère dans les hôpitaux, les systèmes d’entrée de certains immeubles le shabbat…».

Force est de constater, face à cette énumération, que la communauté juive émet là des exigences qui sont des formes de privilèges allant bien au-delà des règles d’une laïcité bien comprise.
Si chaque minorité nationale devait s’en inspirer, il est à craindre que la vie du pays serait parcellisée et peu propice à l’intégration tant désirée par les pouvoirs publics. Faut-il rappeler, par exemple, que les carrés confessionnels dans les cimetières municipaux sont des dérogations, non un droit en soi ? Concernant les digicodes en bas des immeubles, il est inadmissible de vouloir en imposer l’arrêt le shabbat au prétexte d’une pratique orthodoxe de certains locataires juifs, et aux dépens de la sécurité et de la tranquillité du reste des occupants de ces immeubles.

On peut comprendre le désir de certains de vivre selon toutes les prescriptions de leur religion, mais ils doivent admettre que ce n’est pas possible dans un pays dont les coutumes et les lois ont été façonnées par des siècles de chrétienté et qui, de surcroît, se propose d’intégrer tant d’autres minorités. Il y a deux siècles, en acceptant la devise de la République Liberté, égalité, fraternité les juifs ont aussi implicitement accepté cette autre devise : Judéité, laïcité, citoyenneté

Le Figaro. 18/01/2008