Les livres de Mars – Avril 2020

Les choses humaines

Prix Interallié 2019 & Prix Goncourt des Lycéens 2019 

Karine Tuil

Gallimard, 352 pages

Karine Tuil nous présente dans la première partie de ce roman,  les Farel un couple de pouvoir (politique et littéraire). Jean est un célèbre journaliste politique français ; son épouse Claire est connue pour ses engagements féministes et se libérant de l’emprise du mariage pour vivre une histoire d’amour intense avec un professeur de confession juive. Ensemble, ils ont un fils, étudiant dans une prestigieuse université américaine. Tout semble leur réussir.

Dans la 2ème partie, on entre dans l’accusation de viol qui va faire vaciller ce monde « parfait ». Une réflexion d’actualité avec le mouvement #Me Too, les réseaux sociaux et leur influence néfaste sur une procès puisqu’un individu est jugé coupable avant même son procès car les réseaux sociaux influencent inexorablement un verdict.

Karine Tuil s’interroge sur le monde contemporain, démonte la mécanique impitoyable de la machine judiciaire et des réseaux sociaux.

Très bon roman, captivant, au coeur de l’actualité, bien écrit et que l’on n’a pas envie de quitter avant la dernière page.

Nous n’avons pas vu passer les jours

Simone Schwarz-Bart et Yann Plougastel 

Grasset, 208 pages

 

Simone Schwart-Bart, aidée de la plume de Yann Plougastel, journaliste au Monde, nous raconte  sa rencontre avec André et  ses années de vie commune ; elle nous donne à connaître plus intimement l’auteur du « Dernier des justes » et les tourments qui ont accompagné sa vie.

Le récit commence par la rencontre très improbable entre un juif d’origine polonaise, dont les parents ont été déportés, et une jeune guadeloupéenne. Quelques mois après cette rencontre, André Schwarz-Bart, reçoit le prix Goncourt pour « Le dernier des justes ».  Après ce prix et la rencontre de celle qui deviendra sa femme, il va vouloir rapprocher dans son œuvre le destin des juifs et celui des esclaves des Antilles. Il souffrira beaucoup de l’incompréhension qui accueillera ses nouvelles publications .

Lecture passionnante, qui donne envie de relire André Schwarz-Bart.

Le grand royaume des ombres

Arnaud Geiger

Gallimard, 496 pages

Ce récit, dont l’action est concentrée derrière les lignes de front de la seconde guerre mondiale, et en particulier autour du village bordé du lac de Mondsee en Autriche, est un recueil de témoignages de personnages qui ont croisé le parcours de Veit, soldat viennois en convalescence qui tient un carnet. Les décrets arbitraires, les brimades et coups durs liés à la guerre, minent sans cesse la vie des civils et le lecteur éprouve vite de l’empathie pour les témoins et tous ceux qui vivent à l’ombre des combats.

Est dressé un portrait particulièrement vivant des conditions de vie de l’époque qui, aussi dures soient-elle, n’excluent pas de son champ, la tendresse. On suit ainsi le soldat Veit et sa voisine Margot tisser des liens plus lumineux.

Les histoires des différents témoins diffèrent pour autant dans leurs résolutions. On découvre ainsi une famille juive viennoise qui d’obstacles en obstacles tente d’émigrer en Hongrie.

Mikado d’enfance

Gilles Rozier

L’Antilope, 192 pages

Ce livre raconte le retour sur un évènement de la vie de l’auteur, survenu au début de son adolescence, et qui lui a été douloureusement rappelé à la mémoire à son âge adulte, alors qu’il est devenu professeur de yiddish et d’hébreu.

Cet évènement est son implication à la transmission d’un message à caractère antisémite à son professeur d’anglais de l’époque. Cet évènement, qu’il a d’abord refoulé, il va essayer d’en retrouver les pièces, et essayer de déterminer ce qui l’a motivé dans ce geste à caractère antisémite. Les souvenir de l’époque, tel que son attirance pour les co-accusés, ou son histoire familiale, sont comme des pièces d’un jeu de mikado qui va l’amener à libérer le souvenir coupable.

Ce livre est aussi l’occasion de voir comment un jeune accède à l’histoire du peuple juif à travers des souvenirs ayant traits à ses parents.

AU COMMENCEMENT

Chaïm Potok

Les Belles Lettres, 608 pages

Les Belles lettres ont eu la judicieuse idée de présenter une nouvelle traduction de ce superbe roman.

Dans le New York (le Bronx, plus exactement) des années de l’entre-deux guerres, des familles juives vivent paisiblement, en attendant de pouvoir faire venir leurs proches restés en Pologne. Ces familles ont fondé une association d’entr’aide afin de rassembler l’argent nécessaire à la venue des émigrants. Tous juifs pieux, orthodoxes, ils ont à leur tête Max Lurie et son épouse. Max n’a peur de rien ni de personne, surtout pas des antisémites qui vivent autour d’eux. Dans la famille Lurie on compte deux garçons aussi différents qu’on peut l’être. David, l’aîné est le narrateur. Dans une première partie, il évoque avec force détails touchants son enfance d’enfant toujours malade, ce qui l’oblige à souvent manquer le haider ainsi que les jeux avec ses copains. C’est ce retrait forçé qui forge son caractère : fin observateur, il est en permanence en quête de la vérité des choses de la vie. Son hypersensibilité intériorisée l’isole souvent du monde. C’est ce qui le rend si attachant et parfois bouleversant.

Dans une seconde partie, David termine brillamment ses études. Tous lui prédisent un brillant avenir de rabbin et de philosophe, mais il choisit une autre voie : celle qui le mène à quitter sa communauté (sans rien renier), pour aller se frotter aux savants universitaires. C’est pour lui un nouveau commencement, au cours duquel il va se recueillir à Bergen Belsen, là où sa famille a été massacrée. Pour sa famille et ses amis, c’est un peu un reniement.

Magnifique roman d’apprentissage.

Les modifications

Sayed Kashua

L’Olivier, 250 pages

Traduction de l’hébreu par Jean-Luc Allouche

Ce récit, qui relève de l’autobiographie, raconte le retour sur soi d’un écrivain arabe israélien, un « nègre », qui après avoir migré aux Etats-Unis doit revenir en Israël au chevet de son père mourant, et ainsi se reconnecter avec la vie qu’il a fuie.

A travers son récit, nous pouvons observer l’obligation de fidélité à ses origines que s’imposent les arabes de la localité de Tira, la fierté fragile de la population y vivant, et les contradictions que vivent les arabes tentant de s’insérer dans la société israélienne.

L’auteur essayera, tout en se reconnectant avec son passé, de remodeler ses rapports avec les siens comme on apporte des modifications à un texte. Pourtant une faute de jeunesse de l’auteur semble irréparable car elle a motivé tout le reste de sa vie, son exil, et sa vie maritale…

Autobiographie tendre et amère de l’auteur, au style bien travaillé.

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