Livres de janvier – février 2023

SPIROU – L’ESPOIR MALGRÉ TOUT

Tome 1 : UN MAUVAIS DÉPART

Émile BRAVO (Textes et dessins)

DUPUIS, 88 pages

Bruxelles, janvier 1940. La guerre est imminente. Les Allemands, passant outre le statut de neutralité, vont bientôt envahir la Belgique.

Pour servir son pays, Fantasio s’est engagé dans l’armée belge, et Spirou, le jeune groom du Moustic Hôtel, est chargé d’une mission : livrer un rapport du commandement belge à l’état-major français.  Sa rencontre avec l’artiste « dégénéré » Felix et sa femme Felka, juifs allemands réfugiés, lui fait découvrir la persécution des Juifs et prendre conscience de la complexité des événements.

On croise dans l’album une galerie de personnages aux opinions variées : opportunistes, résistants, antisémites, collaborateurs, prêtres, scouts wallons, scouts flamands pro-allemands …

Spirou reste fidèle à ses valeurs. Il est consterné quand Fantasio, inconscient de ce qui se joue, part pour Berlin, ravi d’être embauché par le journal collaborationniste Le Soir.

Dans ce roman graphique très riche, à visée humaniste et pédagogique, aux dessins de qualité, se mêlent action, fantaisie, réflexion, engagement, et touche féministe. Le thème est dramatique, mais l’humour constant, porté par Fantasio. On y voit même malicieusement Spirou costumé en Tintin.

Une remarque : Quelques notes de bas de page auraient été bienvenues pour les jeunes (et moins jeunes) lecteurs, afin d’apporter des précisions sur des faits historiques et personnages réels évoqués : le peintre Felix Nussbaum et Felka assassinés à Auschwitz ; la bataille du fort d’Eben-Emael, province de Liège ; le pacte germano-soviétique ; le parti de Rex d’extrême-droite fondé par le fasciste belge Léon Degrenne …

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L’exposition SPIROU DANS LA TOURMENTE DE LA SHOAH se tient du 9 décembre 2022 au 30 août 2023 au Mémorial de la Shoah à Paris.

MAISON ATLAS

Alice KAPLAN

Le bruit du monde, 266 pages

Le livre débute en 1990 sur les bancs de la faculté de droit de Bordeaux et c’est la rencontre d’Emily juive américaine et de Daniel Atlas juif d’Algérie.
Bien sûr ils tombent amoureux mais la guerre civile qui fait rage en Algérie va les séparer. En effet la famille de Daniel n’a pas quitté l’Algérie en 1962 lors de l’indépendance, son grand père Henri et son père Sammy bien que français depuis des décennies se sont toujours considéré comme juif algérien

Daniel rentre à Alger mais très vite son père est assassiné et pour le venger il va devenir un agent infiltré par la police pour traquer les terroristes et de ce fait va couper tout lien avec Emily cette dernière va retourner dans le Minnesota.
Bien des années plus tard Becca fera le voyage jusqu’à Alger pour mieux comprendre leur lignée et retrouver son père.

C’est un livre très documenté sur l’histoire des juifs d’Algérie et c’est une très belle ballade dans les rues de la capitale Algérienne

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TOMBEAUX  – Autobiographie de ma famille 

Annette WIEVIORKA

Seuil, 384 pages

L’historienne Annette Wieviorka, éminente spécialiste de l’histoire de la Shoah, quitte pour la première fois le terrain de la recherche historique pour livrer, avec cet essai un récit personnel.

Lors du décès d’une tante sans descendance, Annette Wieviorka réfléchit aux traces laissées par tous les êtres disparus qui constituent sa famille, une famille juive malmenée par l’Histoire. Il y a le côté Wieviorka et le côté Perelman. Wolf, l’intellectuel yiddish précaire, et Chaskiel, le tailleur taiseux. L’un écrit, l’autre coud. Ils sont arrivés à Paris au début des années 1920, en provenance de Pologne. Leurs femmes, Hawa et Guitele, assument la vie matérielle et celle de leurs enfants.

Dans un récit en forme de tombeaux de papier qui font œuvre de sépultures, l’historienne adopte un ton personnel, voire intime, et plonge dans les archives, les généalogies, les souvenirs directs ou indirects. Par ces vies et ces destins recueillis, on traverse un siècle cabossé, puis tragique : d’abord la difficile installation de ces immigrés, la pauvreté, les années politiques, l’engagement communiste ou socialiste, le rapport complexe à la religion et à la judéité, puis la guerre, les rafles, la fuite ou la déportation – Paris, Nice, la Suisse, Auschwitz – et enfin, pour certains, le difficile retour à la vie marqué par un autre drame.

Tout l’art consiste ici à placer le lecteur à hauteur d’hommes et de femmes désireux de bonheur, de joie, de liberté, bientôt confrontés à l’impensable, à l’imprévisible, sans certitudes ni connaissances fiables au moment de faire des choix pourtant décisifs. C’est ainsi que des personnages très attachants et un monde disparu retrouvent vie, par la grâce d’une écriture sensible et précise.

Ce livre est une oeuvre bouleversante mémorielle érigée à la mémoire des siens et a obtenu le prix Fémina Essai 2022.

L’auteur viendra présenter son livre au Centre Medem, le 14 février à 20h30.

Livres recommandés en janvier

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LES PRESQUE SŒURS

Cloé KORMAN

Seuil, 240 pages

Dans ce récit, la narratrice retrace l’itinéraire entre 1942 et 1944 de six petites filles juives : trois sœurs Korman, les cousines de son père, qui seront assassinées à Auschwitz, et trois sœurs amies, lesquelles réussiront à échapper à la déportation.

Au travers de documents d’archives, de lettres et photos, d’entretiens avec les rescapées, elle part sur les traces des fillettes menées de camps d’internement en foyers d’accueil, séparées, regroupées au gré des règles qui changent de Montargis à Beaune-la-Rolande, de Louveciennes à Paris.

Cloé Korman évoque ainsi le sort de milliers d’enfants rendus orphelins par la déportation de leurs parents, maintenus dans un sort indécis, confiés à l’UGIF (Union générale des Israélites de France), avec leurs noms transmis aux préfectures, toujours en danger d’être raflés.

Les violences de l’occupation nazie, de l’administration de Vichy sont racontées à hauteur d’enfant ; on y voit la détresse, mais aussi le courage, l’ingéniosité de ces enfants et des quelques adultes qui les aident. Des lâchetés et complicités sont dénoncées : fuite et protection de criminels de guerre (Le père de l’auteure fut l’un des avocats des parties civiles aux procès Klaus Barbie et Aloïs Brunner).

Le roman de Cloé Korman s’appuyant principalement sur les témoignages des sœurs amies rescapées, celles-ci ont parlé d’un « vol de leur histoire » et ont tenté d’en interdire la publication.

Au-delà de ce livre, se posent des questions qui ne sont pas nouvelles en littérature : a-t-on le droit de s’approprier l’histoire des autres, d’y mêler de la fiction ? Que peut-on raconter ? Jusqu’où révéler l’intimité de personnes réelles ?

# J’ACCUSE

Jean DYTAR

Delcourt, 312 pages

Lors de la visite de la maison de Zola et du Musée Dreyfus proposée en octobre 2022 par le Cercle Bernard Lazare et le Centre Medem, nous avons acquis pour la bibliothèque du Centre Medem la bande dessinée de Jean Dytar, #J’accuse.

Depuis, cette bande dessinée a obtenu le prix « BD historique Pierre Lafue/ Histoire de Lire » lors de la première édition du salon Histoire de Lire de Versailles le 19 novembre 2022.

L’impact de l’affaire Dreyfus sur ses contemporains aurait-il été différent s’ils avaient été informés par les médias d’aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. En revanche, le fameux  » J’accuse  » est bien le symbole du pouvoir de la presse au service de la défense d’un homme et de la vérité. 

De 1894 à 1906, l’affaire Dreyfus défraie la chronique. L’auteur en décortique les mécanismes et nous la fait vivre comme si elle se déroulait aujourd’hui, avec nos moyens de communication. 

Sur la base d’un travail de recherche impressionnant d’où sont tirés plus de trois cents extraits de presse afin d’élaborer les dialogues et les textes, la bande dessinée # J’accuse reprend la genèse des différents procès avec pour fil rouge une fausse interview de Mathieu Dreyfus sur laquelle viennent se greffer d’improbables talk-shows dignes de LCI ou C-News, des vidéos imaginaires au format YouTube, des pseudo-reportages aux portables, sans parler des renvois à Wikipédia et de l’accès à la banque de données {Bnf Gallica

Ce travail est clairement destiné à un lectorat qui dépasse le public BD traditionnel. Il devrait susciter la curiosité ! En tout cas, c’est une vraie plongée dans un fait historique majeur plein de passion et de haines, très actuel !

MEïR EZOFOWICZ

Eliza ORZESZKOWA

Robert Laffont, 284 pages

Paru en 1878. Traduit du polonais par Ladislas MICKIEWICZ. Illustrations de M. E. ANDRIOLLI

Nouvelle édition 2022 revue par Z. BOBOWICZ et H. RACZYMOV

Préface Annie KRIEGEL. Postface historique A. DERCZANSKY

 Ce roman nous transporte à la fin du XIXe siècle dans la bourgade biélorusse de Szybow, où s’affrontent deux ancestrales familles juives : les Ezofowicz, riches négociants, et les Todros, rabbins originaires d’Espagne – les uns ouverts à la modernité, les autres rivés à un strict rigorisme religieux.

Le jeune Meïr Ezofowicz prône l’évolution des traditions, l’étude des sciences, la pratique de l’agriculture pour les Juifs, dénonce la violence faite aux enfants du heder, l’école juive. Il crée le scandale en lisant publiquement des écrits inspirés de Maïmonide, en aimant une jeune fille karaïte ; il est, au terme d’un impressionnant procès, frappé d’exclusion, (un herem, tel Spinoza en 1656) par les juges de sa communauté.

Ce livre étonnant, traduit dès sa parution en yiddish, russe, français, tchèque, allemand, écrit par une romancière judéophile issue de la noblesse éclairée polonaise, grande connaisseuse des textes (le Talmud, le Zohar, la Haggada, rabbi Akiva), décrit de façon très vivante la vie dans le shtetl : les institutions juives, la vie domestique, les fêtes, les mariages, les foires, les artisans, la misère, les trafics, les relations avec les chrétiens… Une trame romanesque riche, des personnages forts et nuancés, sans rien de caricatural, donnent son intérêt au roman.

L’auteure, héritière des Lumières (la Haskala, dans le monde juif), a une vision humaniste, mais qui peut sembler quelque peu idéaliste, voire simpliste : l’assimilation des Juifs d’Europe serait la solution qui règlerait les conflits et problèmes côté juif et côté polonais. On sait que trois ans après la parution du roman, les pogroms vont ensanglanter l’empire russe ; de nombreux Juifs vont s’engager dans le Bund socialiste et révolutionnaire ou dans le sionisme, devront choisir d’émigrer.

Le bouillonnement des idées, les questionnements dans la société juive renvoient à d’autres œuvres marquantes : celles d’Isaak Leib Peretz, de Joseph Opatoshu (Dans les forêts de Pologne), de l’auteure polonaise prix Nobel 2019, Olga Tokarzuk (sa magistrale fresque Les Livres de Jakob).

Oser WARSZAWSKI est une figure centrale des mouvements littéraires et artistiques d’avant-garde qui ont façonné la culture yiddish du siècle dernier. Né en 1898 dans la région de Varsovie, Warszawski quittera la Pologne dans les années 20 pour Berlin, Londres puis Paris. Il participera activement à la vie littéraire et artistique de la capitale. En 1942, de résidence forcée en résidence surveillée, il se réfugie à Rome où il sera arrêté en 1944 par la police fasciste. Livré aux Allemands il est déporté et assassiné à Auschwitz le 10 octobre de la même année.

Voici deux analyses de livres de Viviane G.

LA GRANDE FAUCHAISON

Oser WARSZAWSKI

 Denoel (2007)  752 pages

La Grande Fauchaison rassemble pour la première fois la trilogie romanesque d’Oser Warszawski. Des Contrebandiers à L’Uniforme en passant par La Fauchaison, inédit en français, l’auteur retrace les affres de la Grande Guerre en Europe et la manière particulière dont elles trouvent écho dans les mondes juif et allemand de l’époque.

La postface de Rachel Ertel, Le désenchantement du monde, ou Oser Warszawski d’une guerre à l’autre (pages 693-740) donne une synthèse de la trilogie de la Grande Guerre, de l’activité intellectuelle de l’époque en yiddish, et des centres d’action de l’auteur.

Les contrebandiers (1920)

Pendant la guerre de 14-18, les allemands occupent une bourgade de Pologne. La société juive doit  survivre dans le chaos ambiant : débine, contrebande, transgression …Récit picaresque, cruel, empathique et joyeux écrit dans une langue truculente.

La grande fauchaison

1914 : la guerre. À Gourané (Pologne), juifs et goyim vivent sous la férule du gouverneur russe. Enrôlement subi ou volontaire, proclamations menaçantes du pouvoir russe, les foules accompagnent les réservistes et juifs enchaînés car soupçonnés d’espionnage. Mouvement des troupes, défilé des armées, flux et reflux  dans un chaos sanglant. Évocation expressionniste d’une société partagée entre riches et pauvres, pieux et libres penseurs, illuminés, traditionalistes, assimilés, avec la haine entre communauté catholique et juive, société livrée au pillage et à la destruction.

L’uniforme (1924)

C’est à Berlin, capitale d’un empire, que l’on assiste au défilé des troupes aux costumes éblouissants, accompagnées de la fanfare, la suite impériale. Description d’entomologiste des sujets de l’empire, leur dévotion au Kaiser. Malgré ses trois fils enrôlés, le père s’engage dans l’armée. L’horreur, les corps déchiquetés, la mort des fils, « les rêves d’héroïsme bascule dans la folie ».

ON NE PEUT PAS SE PLAINDRE

Oser WARSZAWSKI

Liana Levi (1997), 127 pages

Traduit du yiddish par Marie Warszawski. Postface de Lydie Lachenal

Récit écrit de  1942 à 1943.

En résidence forcée dans le sud-est de la France, Oser Warszawski s’enfuit lorsqu’il est réquisitionné pour un camp de travail. Muni de faux papiers, il raconte sa vie d’errance et de précarité à la merci d’une rafle.

Peinture expressionniste, pleine d’ironie acide et de dérision désespérée, d’une société française peu consciente des dangers pesant sur les Juifs, ce récit offre déjà un éclairage sur le sort des déportés : « Les méthodes d’assassinats les plus nouvelles… d’extermination les plus modernes » étaient à l’œuvre.

LA SYNAGOGUE

Joann SFAR

Dargaud, 208 pages

Ecrit pendant la pandémie de COVID, dont l’auteur a failli mourir, Joann Sfar raconte en vrac ses souvenirs d’enfance : l’Algérie racontée par son père, Nice, les shabbat chez sa grand-mère, les discussions avec son grand-père ou les Kippour interminables à la synagogue, auxquels il échappe en entrant dans le service de sécurité qui l’oblige à rester à l’extérieur. Chemin faisant, il dessine avec humour ses réflexions sur l’hôpital, la judéité, l’antisémitisme, la Shoah, l’auto-défense, la politique, la justice et sa propre œuvre dessinée, tout en dialoguant avec le fantôme de Joseph Kessel.

On retrouve avec bonheur le dessin et l’humour si particulier de Joann Sfar, et le désordre-même rend l’album sympathique. Les questions sur la judéité et le combat contre l’antisémitisme, identiques à celles de bien d’autres Juifs, méritent d’être partagées. Mais bien malin qui trouvera à l’album une cohérence ; on se serait aussi passé de quelques grossièretés sexuelles qui n’apportent pas grand-chose.

A lire quand même, pour les inconditionnels.

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