Livres de mars – avril 2023

UN SIMPLE ENQUÊTEUR

Dror MISHANI

Edition Gallimard

Prix des lecteurs de « ELLE »

Le commissaire Avraham Avraham bien connu des lecteurs (c’est le cinquième de la série) âgé de 44 ans jeune marié de surcroît est las d’enquêter sur des crimes domestiques dont la résolution ne rend service à personne.

Il informe son supérieur de son désir de quitter le commissariat de Holon afin d’être affecté dans une autre unité où il aura des missions plus importantes , ce dernier essaie de l’en dissuader en vantant ses grandes qualités d’enquêteurs mais Avraham reste inflexible

De retour à son bureau deux nouvelles affaires arrivent : il délègue celle qui lui semble la plus banale à une collaboratrice la découverte d’un bébé dans un sac à proximité de l’hôpital

C’est la disparition d’un touriste signalée par le directeur d’un hôtel du front de mer qui va retenir son attention

L’homme détenteur d’un passeport suisse est aussi détenteur d’un passeport israélien mais aussi d’autres identités.

On le retrouve noyé sur la plage, l’implication du Mossad commence à se profiler.

Tout porte à croire que Avraham tient sa grande enquête.

C’est là que se situe le talent de l’auteur et qui nous tient en haleine jusqu’à la fin du roman.

CE PAYS QU’ON APPELLE VIVRE

Ariane BOIS

Plon, 287 pages

Ariane Bois est grand reporter et aussi écrivaine. Dans ce roman, dont l’intrigue est secondaire, elle dresse le tableau de ce que fut la vie quotidienne des juifs apatrides et surtout étrangers enfermés dans le « CAMP DES MILLES » situé non loin d’Aix-en-Provence.

Réservé au départ aux hommes, ce camp « accueillera » aussi des femmes et leurs enfants de tous âges. Les conditions de vie y sont déplorables : administration rigoureuse, servile et sans scrupule, souvent inhumaine ; usine désaffectée à l’hygiène inexistante ; nourriture insuffisante ; inactivité démoralisante, etc…

Environ un millier d’hommes étrangers y survivent de 1939 jusqu’à 1942. Ils tentent d’y mener une vie communautaire basée sur leurs anciennes occupations : les acteurs présentent de courtes pièces de théâtre, les écrivains donnent des conférences très suivies ; les peintres tels Max Ernst sont aussi de la partie. Parmi ces derniers, un jeune satiriste nommé Léo Stein tombe amoureux d’une bénévole, Margot, déléguée d’une association d’entr’aide : en effet, le HICEM, l’OSE, Varian Fry ainsi que des bénévoles régionaux, apportent des secours au camp, et s’efforcent de leur trouver un pays d’accueil.

Le souvenir de ces camps de la honte s’estompe avec le temps. Ce « docu-roman » est le bienvenu.

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LE TABLEAU DU PEINTRE JUIF

Benoît SÉVERAC

MANUFACTURE LIV, 306 pages

Ce roman de Benoît Séverac est captivant.

Fin 1943, début 1944, Eli Trudel, peintre juif, et sa femme, doivent fuir en zone libre puis en Espagne via les réseaux de la Résistance du Sud de la France. Ils n’emportent avec eux que quelques affaires et les tableaux d’Eli.

De nos jours, Stéphane hérite d’un tableau qui est dans la famille depuis la Guerre. Cette aquarelle a été offerte par le peintre juif, Eli Trudel, à son grand-père, pour le remercier de lui avoir sauvé la vie et celle de sa femme. Stéphane n’a alors plus qu’une obsession : faire reconnaître son grand-père comme « Juste parmi les nations ». Il se rend à Jérusalem et présente la toile aux experts de Yad Vashem. Il est arrêté et placé en garde à vue : l’œuvre aurait été volée.

Relâché et de retour en France, il ne peut pas croire que son grand-père, résistant reconnu, ait pu voler le tableau. Il commence alors une enquête sur les traces d’Eli Trudel.

Au fil des pages, on en apprend beaucoup sur la résistance dans les Cévennes, la Haute Garonne, les filières des passeurs. Stéphane arrive jusqu’en Espagne et apprend ainsi que les juifs étrangers qui avaient réussi à passer la frontière étaient relativement épargnés par Franco qui ne voulait pas déplaire (en 1943) aux Allemands, tout en cherchant à s’assurer des bonnes grâces des Alliés en prévision de l’après-guerre.

On ne peut pas quitter ce roman, on a envie de découvrir ce qu’il s’est passé. Le tableau a-t-il été volé ou spolié ? Qu’est-il arrivé aux époux Trudel ?

Le roman se termine par un coup de théâtre sans doute pas comme on pouvait s’y attendre, et peut être même pas comme on l’aurait  souhaité…

Très facile à lire, écrit dans un style plus journalistique que littéraire, ce roman peut s’avérer un bon livre de vacances.

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MA VIE (FUN MAYN LEBN)

Vladimir MEDEM

Éd. Honoré Champion (1999)

Première édition en 1923 à New York.

Traduit du yiddish par Henri Minczeles et Aby Wieviorka

Cette année qui marque le centenaire de la mort de Vladimir MEDEM (1879, Libau, actuelle Lettonie – 1923, Brooklyn) nous donne l’occasion de lire ou relire ses Mémoires, parues d’abord en feuilleton dans le quotidien yiddish Forverts.

Le récit autobiographique du grand théoricien du Bund (1er parti politique juif socialiste et laïc) qui s’arrête en 1915, alors que l’entrée des Allemands dans Varsovie lui permet de sortir de prison, retrace son existence pleine de péripéties : l’enfance privilégiée dans une famille assimilée, son baptême dans la religion orthodoxe et sa foi, ses études à Minsk et Kiev, ses activités révolutionnaires lorsqu’il devient militant et, sous l’influence de l’historien Simon Doubnov, défend la doctrine de l’autonomie nationale et culturelle des Juifs.

Ces années de maturation politique en Russie et en exil, de voyages et congrès (Berne, Berlin, Copenhague, Londres, Kovno, Amsterdam, Vienne) sont décrites de manière très vivante et humaine : les grèves, les milieux émigrés, les amitiés, les débats idéologiques, le journalisme, le bagne. C’est une galerie de portraits hauts en couleurs : Lénine, Trotsky, Weizmann, An-Ski, Jaurès, Rosa Luxembourg… On note la vitalité inépuisable du jeune leader malade, clandestin, pourchassé, mais sensible aux beautés de l’art, de la nature (paysages des Alpes suisses, de l’Italie, Paris…) : « en prison, une vie mesquine, grise, monotone, mais on vit et on s’habitue ».

A lire l’excellent article de Constance Pâris de Bollardière – revue K, n°100 du 16 février 2023 : D’une enfance russe au socialisme yiddish : Vladimir Medem, « légende du mouvement ouvrier juif » (gravé sur sa tombe par l’Arbeter Ring – le Cercle amical.)

À L’ÉCHELLE HUMAINE

Léon BLUM  

GALLIMARD (1ère édition 1945)

LE BORD de L’EAU (Réédition 2021), 192 pages.

Préface inédite et notes de Milo LEVY-BRUHL

En 1941 Léon Blum, 69 ans, dirigeant de la SFIO, chef du gouvernement en 1936 sous le Front populaire, est en prison sur ordre de Vichy.  Il y rédige cet essai, en attente du procès de Riom censé juger les responsables de la débâcle. Examen de conscience, retour sur la politique passée, mais surtout projection vers l’avenir, avec une certitude : la guerre s’achèvera par la défaite de l’Allemagne et par l’effondrement du régime de Pétain.

Dans son style vigoureux et ample, sans apitoiement sur lui-même ni mention de sa vie personnelle – une seule évocation dans son avant-propos, « mon fils prisonnier en Allemagne » – il analyse les causes du désastre national. Pour lui, héritier de Jaurès, lecteur de Marx, défaite militaire et défaite politique résultent de la décadence morale de la bourgeoisie qui aurait « perdu ses vertus antiques » et n’aurait pas su s’adapter à la surproduction de richesses capitalistes (au contraire de l’Angleterre) : maintien des biens et privilèges, sentiments de sécurité et retard dans le réarmement requis par le Front populaire ont prédominé ; le nazisme est apparu moins redoutable que le communisme.

Selon lui, le régime parlementaire ne constitue pas la forme de gouvernement démocratique adapté à la société française, et il prend pour exemples des états fédéraux, tels la Suisse et les Etats-Unis, aux pouvoirs et à l’administration décentralisés.

Ces mois de rédaction coïncident avec le sommet de la puissance allemande : pacte germano-soviétique rompu et troupes de la Wehrmacht aux portes de Moscou ; radicalisation du régime de Vichy et création du Commissariat aux questions juives. Et pourtant Léon Blum n’en parle pas. Tout entier il est tourné vers la reconstruction du monde de paix et de justice de l’après-guerre, doté d’une convention européenne et internationale. Il en appelle à une démocratie populaire et sociale et défend la République, celle de Gambetta, contre les antilibéraux.

Cette renaissance du socialisme se fera, dit-il, avec le prolétariat français, « sève montante de la nation », animé de passion patriotique. Et il dénonce le Parti communiste français inféodé à Staline, qui a trahi la France.

La réédition de cet ouvrage, enrichie d’une préface éclairante, permet d’approcher la pensée de Léon Blum. Certaines assertions semblent discutables, mais on ne peut qu’être sensible et admirer le courage (de sa cellule il organisera la résistance socialiste clandestine ; en avril 1943 il sera incarcéré au camp de Buchenwald), la force des convictions et une juste prescience (l’inéluctable défaite nazie ; la nécessité d’une union européenne, y compris avec l’Allemagne « rééduquée »).

L’affirmation du principe humaniste est constant, et des échos font résonance avec notre actualité.

« Rien de ce qui fut établi par la violence et maintenu par la contrainte, rien de ce qui dégrade l’humanité et repose sur le mépris de la personne humaine ne peut durer. » écrit-il.

Pour en savoir plus : Milo Lévy-Bruhl, doctorant en philosophie politique (EHESS), et Benoît Kermoal, historien, chargé du pôle « histoire sociale » à Unsa-Éducation, en débattent dans cet entretien vidéo sur YouTube.

SHIMON LE PARJURE : mes juifs de Damas

Moussa ABADI

éd. Du Laquet, 252 pages

Cet émouvant recueil nous raconte la vie des juifs de Damas. Il est difficile de le situer dans le temps. Ce qui est certain, c’est que ces petites aventures drôlatiques ont toutes lieu dans le ghetto. 1950 ?

Sous les yeux du Saint béni-soit-il, on se chamaille, on chaparde, on médit, on s’entr’aide aussi, le tout avec force générosité. Les petites gens sont les héros de ces historiettes qui nous font rire… La misère est omniprésente, mais tous acceptent leur sort. Pas de plainte, pas de larme…

L’auteur, lequel a « abandonné » son cher ghetto pour venir en France, fait revivre avec tendresse le Damas de son enfance, la nostalgie au cœur. A la manière d’un grand conteur, il nous fait aimer cette population pieuse, laborieuse, pleine d’humour et d’une grande sagesse.

Très touchant recueil de nouvelles.

SPIROU – L’ESPOIR MALGRÉ TOUT

Deuxième partie : UN PEU PLUS LOIN VERS L’HORREUR

Émile BRAVO (Textes et dessins)

DUPUIS, 92 pages

Bruxelles, automne 1940. La Belgique est occupée. La situation se durcit, avec la peur et la faim, le couvre-feu. Bientôt le pacte germano-soviétique sera rompu. Spirou, décidé à lutter contre l’ennemi nazi, s’inquiète pour son amie Kassandra détenue à l’est, d’où les nouvelles sont alarmantes : persécutions, ghettos, massacre de populations juives. Fantasio prenant conscience de la situation renonce à partir travailler à Berlin (« J’ai choisi mon camp, celui de la liberté ! »). Pour survivre, lui et Spirou parcourent les routes de Belgique avec leur spectacle de marionnettes, dont les virulentes bastonnades font la joie des enfants. Ils côtoient des patriotes, des résistantes, des traîtres aussi.

Les mesures anti-juives s’aggravent : famine organisée, postes de radio saisis, magasins proscrits, port de l’étoile jaune, parcs publics interdits, rafles. L’artiste Felix et Felka sont arrêtés, incarcérés avec d’autres Juifs et communistes pour être déportés. Spirou essaie de sauver deux enfants (P’tit Louis : « Mais pourquoi c’est grave d’être juif ? ») et se retrouve embarqué avec eux à la caserne de Malines, puis dans un train en partance vers un camp de travail d’une bourgade de Haute-Silésie, un certain Auschwitz, dit-on.

Dans cette tragi-comédie au titre sombre, la mise en couleurs tirant sur le sépia (Fanny Benoît) participe de l’atmosphère de l’époque. Les bandes d’enfants savoureusement croqués et le cocasse Fantasio jamais à court de facéties et bévues font contrepoint au réalisme glaçant du récit.

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L’exposition SPIROU DANS LA TOURMENTE DE LA SHOAH se tient du 9 décembre 2022 au 30 août 2023 au Mémorial de la Shoah à Paris.

Livres recommandés en février

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TOMBEAUX  – Autobiographie de ma famille 

Annette WIEVIORKA

Seuil, 384 pages

L’historienne Annette Wieviorka, éminente spécialiste de l’histoire de la Shoah, quitte pour la première fois le terrain de la recherche historique pour livrer, avec cet essai un récit personnel.

Lors du décès d’une tante sans descendance, Annette Wieviorka réfléchit aux traces laissées par tous les êtres disparus qui constituent sa famille, une famille juive malmenée par l’Histoire. Il y a le côté Wieviorka et le côté Perelman. Wolf, l’intellectuel yiddish précaire, et Chaskiel, le tailleur taiseux. L’un écrit, l’autre coud. Ils sont arrivés à Paris au début des années 1920, en provenance de Pologne. Leurs femmes, Hawa et Guitele, assument la vie matérielle et celle de leurs enfants.

Dans un récit en forme de tombeaux de papier qui font œuvre de sépultures, l’historienne adopte un ton personnel, voire intime, et plonge dans les archives, les généalogies, les souvenirs directs ou indirects. Par ces vies et ces destins recueillis, on traverse un siècle cabossé, puis tragique : d’abord la difficile installation de ces immigrés, la pauvreté, les années politiques, l’engagement communiste ou socialiste, le rapport complexe à la religion et à la judéité, puis la guerre, les rafles, la fuite ou la déportation – Paris, Nice, la Suisse, Auschwitz – et enfin, pour certains, le difficile retour à la vie marqué par un autre drame.

Tout l’art consiste ici à placer le lecteur à hauteur d’hommes et de femmes désireux de bonheur, de joie, de liberté, bientôt confrontés à l’impensable, à l’imprévisible, sans certitudes ni connaissances fiables au moment de faire des choix pourtant décisifs. C’est ainsi que des personnages très attachants et un monde disparu retrouvent vie, par la grâce d’une écriture sensible et précise.

Ce livre est une oeuvre bouleversante mémorielle érigée à la mémoire des siens et a obtenu le prix Fémina Essai 2022.

L’auteur viendra présenter son livre au Centre Medem, le 14 février à 20h30.

MAISON ATLAS

Alice KAPLAN

Le bruit du monde, 266 pages

Le livre débute en 1990 sur les bancs de la faculté de droit de Bordeaux et c’est la rencontre d’Emily juive américaine et de Daniel Atlas juif d’Algérie.
Bien sûr ils tombent amoureux mais la guerre civile qui fait rage en Algérie va les séparer. En effet la famille de Daniel n’a pas quitté l’Algérie en 1962 lors de l’indépendance, son grand père Henri et son père Sammy bien que français depuis des décennies se sont toujours considéré comme juif algérien

Daniel rentre à Alger mais très vite son père est assassiné et pour le venger il va devenir un agent infiltré par la police pour traquer les terroristes et de ce fait va couper tout lien avec Emily cette dernière va retourner dans le Minnesota.
Bien des années plus tard Becca fera le voyage jusqu’à Alger pour mieux comprendre leur lignée et retrouver son père.

C’est un livre très documenté sur l’histoire des juifs d’Algérie et c’est une très belle ballade dans les rues de la capitale Algérienne

SPIROU – L’ESPOIR MALGRÉ TOUT

Première partie : UN MAUVAIS DÉPART

Émile BRAVO (Textes et dessins)

DUPUIS, 88 pages

Bruxelles, janvier 1940. La guerre est imminente. Les Allemands, passant outre le statut de neutralité, vont bientôt envahir la Belgique.

Pour servir son pays, Fantasio s’est engagé dans l’armée belge, et Spirou, le jeune groom du Moustic Hôtel, est chargé d’une mission : livrer un rapport du commandement belge à l’état-major français.  Sa rencontre avec l’artiste « dégénéré » Felix et sa femme Felka, juifs allemands réfugiés, lui fait découvrir la persécution des Juifs et prendre conscience de la complexité des événements.

On croise dans l’album une galerie de personnages aux opinions variées : opportunistes, résistants, antisémites, collaborateurs, prêtres, scouts wallons, scouts flamands pro-allemands …

Spirou reste fidèle à ses valeurs. Il est consterné quand Fantasio, inconscient de ce qui se joue, part pour Berlin, ravi d’être embauché par le journal collaborationniste Le Soir.

Dans ce roman graphique très riche, à visée humaniste et pédagogique, aux dessins de qualité, se mêlent action, fantaisie, réflexion, engagement, et touche féministe. Le thème est dramatique, mais l’humour constant, porté par Fantasio. On y voit même malicieusement Spirou costumé en Tintin.

Une remarque : Quelques notes de bas de page auraient été bienvenues pour les jeunes (et moins jeunes) lecteurs, afin d’apporter des précisions sur des faits historiques et personnages réels évoqués : le peintre Felix Nussbaum et Felka assassinés à Auschwitz ; la bataille du fort d’Eben-Emael, province de Liège ; le pacte germano-soviétique ; le parti de Rex d’extrême-droite fondé par le fasciste belge Léon Degrenne …

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L’exposition SPIROU DANS LA TOURMENTE DE LA SHOAH se tient du 9 décembre 2022 au 30 août 2023 au Mémorial de la Shoah à Paris.

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