Mon identité juive diasporique et laïque
1. Mon identité juive diasporique et laïque
(Je parlerai du féminisme après, simplement parce que cela ne me semble pas relever directement de la thématique sur la ou les diaspora[s])
Cette identité se rattache à ce que j’appelle ma « centralité diasporique ». Je précise à ce propos que je ne me sens pas à l’aise avec l’image « centre » et « périphérie ». Certes, cette image est exacte d’un point de vue historique, mais je récuse le monopole de cet état de fait pour fonder le statut du diasporisme juif d’aujourd’hui, en principe définitif.
Ainsi, Israël n’est pas mon « centre », ni d’un point de vue culturel, ni d’un point de vue politique. Pour moi, Israël est surtout une référence majeure de type émotionnel et affectif, le seul pays au monde où on ne me traitera jamais de « sale juive », le miracle – pérenne, j’espère -, d’après-Shoah, le pays où habitent mes cousins, celui de la belle expérimentation kibboutzique des débuts.
Mais, dans mon ressenti, Israël n’est pas mon « centre » et je ne suis pas dans sa « périphérie ».
Alors, la France est-elle mon « centre » ?
Certes, je suis née en France (ma mère, déjà, aussi), je suis de nationalité française, avec des droits et des devoirs. J’aime les paysages de France, ses vieilles pierres, ses églises et ses châteaux, j’adore Paris et la Normandie, etc. Mais mes ancêtres n’étaient pas gaulois, et, alors que je ressens une infinie reconnaissance envers la minorité française résistante et salvatrice de Juifs pendant la guerre, je ne pardonnerai jamais à la majorité de ce peuple d’avoir été pétainiste, et collaboratrice zélée d’Hitler, et aujourd’hui je ne digère pas qu’il y ait autant d’amis amnésiques des Le Pen. L’imprégnation chrétienne de la France ne me gêne pas, je l’accepte sans problème comme une donnée culturelle du pays où j’ai choisi de vivre.
Je suis française par ma langue, ma citoyenneté, la profession d’enseignante que j’ai exercée (le travail étant au demeurant un puissant principe intégrateur), ma loyauté générale de citoyenne (après tout, ce pays d’accueil a jadis accepté ma famille et l’a laissée s’y intégrer, ce qu’elle était d’ailleurs très désireuse de faire). Je suis française par l’Ecole qui m’a façonnée, et sa méritocratie, par l’intérêt que je porte aux institutions de la France, à sa société et à sa politique. J’ai aussi une tendresse pour la Révolution de 1789 et son héritage (Terreur exclue). Mais pour autant, la France n’est pas pleinement mon « centre ».
En revanche, je parle tranquillement de ma pleine identité de Juive diasporique.
Toute identité diasporique, notamment juive, chez les enfants d’immigrés dont je suis, porte en elle une certaine mémoire, certains souvenirs hérités, certaines habitudes (dont culinaires), certains fantasmes (pour moi, c’est une certaine « slavité »), certaines nostalgies, des bouts de langue yiddish. De tout cela, j’ai hérité.
En France, j’ai plus d’une fois eu une impression de malaise, de « derrière entre deux chaises », de manque de certains codes sociaux, une intranquillité (celle de ne jamais savoir si on va m’accepter en tant que Juive). C’est une fragilité, une sorte de blessure, habituelles chez tous les minoritaires dans un pays, de quoi alimenter chez eux, d’ailleurs, une certaine solidarité inter-minoritaire.
Mais c’est une force aussi, à cause de la richesse d’une double culture, de la nécessité de se blinder, de se faire accepter par les « autochtones », malgré leur xénophobie, voire, s’agissant des Juifs, leur antisémitisme.
Pour autant, je ne me sens pas une « identité plurielle ». Il y a juste en moi diverses facettes, qui coexistent et se complètent, mais n’entrent pas en conflit, ni ne se mélangent. J’avais une amie qui disait qu’elle aimait autant la carpe farcie que le bœuf bourguignon (déchirant détail : elle était orpheline de la Shoah, comment pouvait-il en être autrement ?).
Moi j’aime bien le bœuf bourguignon, mais au Gefilte Fisch s’ajoute quand même l’amour et l’image de ma mère et de ma grand’mère, le préparant de façon traditionnelle (en commençant par l’assommer dans la grande bassine…).
Autre chose : malgré la diversité inouïe des diasporas juives de par le monde, et le fait qu’il y ait autant de vécus diasporiques qu’il y a de Juifs, il existe une certaine unité de « la » Diaspora que j’ai ressentie, par exemple, fortement au niveau européen lors de la création de JCall, au Parlement de Bruxelles, au moment du discours de Dany Cohn-Bendit. Le premier ciment de cette unité, d’ailleurs, est bien la persistance d’un antisémitisme passionnel, archaïque, très répandu de par le monde, et qui pèse sur tous les Juifs à égalité. Voyez par exemple, en France, la recrudescence actuelle de ce drame dans les banlieues, et même dans l’extrême-gauche, alors que nombre d’entre nous pensaient naïvement que c’était cantonné à la droite.
Compte tenu de ma récusation d’Israël comme mon « centre », politiquement, je milite fermement pour le droit de la Diaspora à exprimer une position de judéité forte et spécifique, à côté de ce que peut dire Israël, et éventuellement en contraste avec (par exemple il me semble naturel que les positions de « Shalom A’hshav », pour lesquelles des sionistes minoritaires se battent courageusement aussi en Israël même, soient éminemment diasporiques par essence, car non-nationalistes, humanistes et « de gauche »). Ce genre de position reflète peut-être une aspiration juive diasporique morale, intime, à de la sur-exemplarité, consistant en l’occurrence à prôner le respect du peuple palestinien à côté du peuple israélien. Désir parfaitement naïf, au demeurant, comme si une telle sur-exemplarité allait diminuer l’antisémitisme…
(C’est d’ailleurs aussi pourquoi des personnages comme Weinsteen et DSK me font tellement honte, car ils font jubiler les antisémites).
Mais il me semble qu’essentiellement, le défi de la Diaspora, si on veut lui donner une spécificité substantielle, est avant tout d’ordre culturel. J’y reviendrai tout à l’heure.
Pourquoi ? D’abord parce qu’il faut remettre la religion à sa place. Moi j’en ai marre que dans la judéité, on rapporte tout à la Thora, à la Bible. Je respecte les religieux, ils ne me gênent pas du tout, mais j’attends la pareille de leur part, qu’ils reconnaissent mon diasporisme comme authentiquement juif aussi, et qu’ils ne s’arrogent pas le monopole sur la judéité.
Ce qui m’amène à mon point suivant.
2. La dimension de la laïcité dans le diasporisme juif
Ma laïcité générale à moi, très ferme et convaincue, n’est pas à confondre avec un « laïcardisme ». Je ne supporte pas les capitulations graduelles que subit actuellement la laïcité dans l’espace public français et qui m’inquiètent beaucoup. Je vis comme j’ai été élevée, sans religion et cela ne me manque pas. Je précise que je fête quand même en famille Roch Hachana et Pessah avec un rituel juif culturalisé et sur un certain mode universaliste… On bricole comme on peut avec la judéité…
Je précise aussi que cette problématique de la laïcité citoyenne m’a toujours habitée quand j’étais enseignante (surtout dans le secondaire, où j’ai enseigné 10 ans avant mes 31 ans d’enseignement en fac), et où j’ai scrupuleusement observé l’obligation de neutralité et l’exigence de séparation stricte entre l’espace public et l’espace privé.
Pour moi, la laïcité, c’est avant tout un combat de citoyen français en général, car c’est avant tout une conséquence du rationalisme, une nécessité de la modernité, une lutte contre l’obscurantisme, la superstition, l’irrationnel, et un ingrédient fondamental de l’idée de République. Je récuse le droit pour la religion d’intervenir de façon prépondérante dans l’éthique, car l’exigence de morale humaniste et de valeurs universelles me suffit tout à fait.
Quant à la laïcité juive :
Tout d’abord, je tiens à souligner que cette laïcité a, historiquement, ses propres lettres de noblesse dans la culture juive : ce courant de pensée s’est en effet forgé solidement au fil des siècles (même Maïmonide faisait passer pour juives des pensées d’Aristote, alors !), avec notamment diverses influences philosophiques, avec la Haskala (fin XVIIIème siècle), avec les luttes sociales, syndicales et politiques de gauche au XIXème siècle et le Bund, etc.
Sans parler des autres influences qui se sont aussi exercées sur les communautés juives dans le Yiddishland par exemple, en côtoyant les cultures environnantes. Cette émancipation de la religion, de la stricte séparation des sexes, de la cashrout, etc. qui a été puissante et continue, a d’ailleurs dans le passé donné naissance à d’âpres détestations entre religieux et « apikoïrim ».
Cela pour les Ashkénazes, mais il y a peut-être l’équivalent chez les Sépharades.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Ce courant laïc reste important chez les Juifs, surtout après la Shoah. Il va de pair avec la sécularisation générale des sociétés occidentales. Mais la pression des milieux religieux demeure forte sur la communauté.
3. La dimension culturelle de l’identité diasporique juive
Je reprends maintenant le fil de mon thème sur le combat culturel de la Diaspora.
Il faut déjà, bien sûr, trier ce qu’on peut garder du passé et même du présent juif, concernant la pensée, les valeurs, les créations intellectuelles et artistiques. Il faut les faire connaître, les diffuser, les apprécier (merci aux Associations qui font à cet égard un excellent boulot !).
Mais ici, je voudrais me demander d’abord ce qu’il reste de cultuel dans le culturel, dans la musique, la littérature, etc. Et poser la question : comment peut-on culturaliser ce cultuel-là ?
A cet égard, je note que dans la culture juive, ce n’est pas si simple que cela en a l’air de désintriquer le cultuel du culturel proprement dit.
Pour illustrer ce point, je prends le petit exemple de la danse traditionnelle ashkénaze, que j’ai étudiée. Pensons par exemple à la dimension du hassidisme : si l’on fait abstraction de la mystique qui l’anime dans la croyance religieuse, et qui transparaît dans les danses elles-mêmes, si on rend ses danses mixtes (hommes et femmes), qu’en reste-t-il ? Que reste-t-il de leur spiritualité ?
Eh bien, pour moi, transférées dans la modernité, il reste quand même de ces danses la musique, le rythme, l’émotion, la fraternité collective, le côté poignant et la force de l’expressivité, mais surtout la richesse symbolique et même « philosophique » (si l’on prend en compte la Kabbale et les sephirot dont s’inspire le hassidisme, et les rapports entre le divin et l’humain). Cette richesse de signification passe effectivement, même de façon affaiblie, dans la danse, dans la géométrie et la symbolique des mouvements. Et rien n’empêche d’être, encore maintenant, touché par cela.
Même chose pour les Nigunim liturgiques chantés, si émouvants.
A l’origine dévotionnels, ils font maintenant partie de notre répertoire courant dans nos chorales juives (la mienne, c’est avec Jacinta).
Encore deux exemples à propos du couple cultuel/culturel : le purim shpil, dans le domaine du théâtre, dont le thème d’origine est bien religieux (la fête de Purim), mais qui a depuis longtemps traité de sujets profanes, de satire et de critique politique, etc.
Et enfin, dans la philosophie juive, je pense au courant de pensée inspiré par la Kabbale, mais rationaliste et pro-science, à la suite des enseignements du Gaon de Vilna (XVIIIème siècle). Dans la modernité, c’est Jean Zacklad qui a diffusé cette pensée, dont se réclament par exemple Claude Birman, et aussi mon mari Francis Bailly, qui, lui, était athée.
Encore un mot, sur cette fois l’histoire récente, à propos du contenu culturel du diasporisme juif
Dans la foulée de Mai 68, il y a eu en France (mais aussi dans quelques autres pays) un phénomène de « Revival » culturel, qui était d’ailleurs le plus souvent attaché à un territoire régional d’origine. Par exemple, les Bretons, les Basques, les Occitans se sont mis à pratiquer avec délectation leurs langues régionales, leurs danses folkloriques traditionnelles, etc.
Dans les mêmes années 70, il y a aussi eu un Revival ashkénaze, émotionnellement et affectivement important, plutôt autour du yiddishisme, et bien sûr, non attaché à un territoire (pour cause de diasporisme !). Au niveau personnel, c’est à cette époque que j’ai par exemple découvert – j’allais dire récupéré … – Talila, le regretté Théodore Bikel, la musique klezmer, et un peu plus tard les danses traditionnelles ashkénazes et les chansons yiddish, que j’ai pratiquées assidûment depuis ce temps-là, et c’est à cette époque aussi que j’ai fait mes pèlerinages familiaux en Pologne et en Russie. J’ai fréquenté des ateliers, des festivals klezmer internationaux, des chorales, etc.
Cette fidélité ne m’a jamais quittée, pour mon plus grand plaisir. Identité émotionnelle et sensible.
4. La dimension politique « de gauche » dans le diasporisme
Je sais très bien que cette dimension n’est pas consubstantielle au diasporisme, puisqu’il ne manque pas, hélas, de Juifs de droite. Pourtant, comme la laïcité, cette dimension me semblerait, à moi, indispensable. Daniel Lindenberg faisait remarquer que les bundistes avaient gardé de la Thora de leurs pères le souci de la justice sociale planétaire. Certains kabbalistes athées, dont mon mari, assimilent aussi le messianisme à la Révolution sociale. Je crois que tout cela est plus que jamais pertinent dans la modernité, si scandaleusement inégalitaire et pourrie par le fric. Une certaine éthique devrait ainsi prévaloir. A gauche toute, donc !
Mais quelle gauche, actuellement ? Quelle désolation !
En tous cas, moi, je reste très fermement de gauche, c’est mon camp, même si cette gauche est actuellement en miettes. Et je ne suis pas libérale sur le plan économique.
5. La dimension féministe
Je l’aborde quand même, même si elle ne me paraît pas faire partie intégrante du diasporisme juif, pas plus d’ailleurs que du sionisme israélien.
C’est simplement un phénomène général de la modernité.
Je dirai d’abord deux mots sur mon féminisme général à moi, qui est peut-être générationnel. Puis quelques mots sur mon féminisme juif.
Disons que mon féminisme général est venu absolument dans la foulée de Mai 68, que j’ai vécu intensément. Mon combat principal à cette période n’était d’ailleurs pas le féminisme (et ne l’est toujours pas), mais le combat pour une école à la fois de masse et de qualité, en relation avec les sciences humaines de référence pour les contenus d’enseignement.
Il n’empêche qu’à cette période-là, dans ma vie personnelle, mon couple vivait quelques tensions. Et que 68 a failli le faire éclater, et pas de mon fait. Mon mari, lui, était certes un vrai mentsch et un bel intellectuel (que j’admirais et que je continue à admirer beaucoup, huit ans après sa mort, ce qui correspondait d’ailleurs à mes schémas traditionnels juifs sur ce que doit être un couple), mais il était aussi un « chef syndical », très actif en 68, qui faisait de brillantes analyses politiques, et, le pouvoir étant ce qu’il est, même assez modeste, il avait des nanas à ses pieds…
Voilà… Je m’arrête là…
Cela vous explique qu’à cette époque, et après avoir, du coup, perdu ma confiance en moi en tant que femme, je sois devenue, non seulement jalouse, mais, brusquement, farouchement féministe. C’était pour moi une nécessité vitale. J’ai lu tout ce qu’il y avait à lire sur la question, j’ai réfléchi, écrit, participé à plusieurs groupes de femmes et cela m’a donné une réelle force intérieure, même pour vieillir, maintenant.
Je dois donc dire toute ma gratitude envers le MLF pour m’avoir redonné cette confiance en moi, m’avoir forcée à progresser pour développer mon autonomie en général, dont intellectuelle, et m’avoir enlevé de la tête bien des schémas mentaux qui me paralysaient.
Je termine cette rubrique en soulignant que le féminisme général a sûrement quelque chose à apporter à l’idéologie de gauche, ne serait-ce qu’une réflexion sur le rapport au pouvoir et à l’égalité. Et pas cette histoire d’orthographe et de grammaire inclusive qui ne fera que compliquer la tâche des élèves défavorisés à l’école.
Maintenant j’en viens à mon féminisme juif :
D’abord, parmi les divers groupes de parole auxquels je participais dans les années 70, j’ai fait partie d’un groupe de « femmes Juives ». Une petite dizaine de femmes, enseignantes et chercheuses. De femmes mariées, nous n’étions pas des lesbiennes. Toutes ressentaient des tensions dans leur couple et nous analysions en commun nos souffrances. C’est là que nous avons pris conscience que « le personnel est politique ! », comme le clamait l’un des slogans des manifs féministes. C’est-à-dire que ce que nous vivions sur le mode de nos propres insuffisances personnelles, d’une auto dévalorisation, d’une certaine culpabilité, relevait en fait d’un phénomène collectif, communautaire en l’occurrence.
En effet, nous avons notamment analysé comment pesait sur nous, à notre insu, la tradition juive, avec ses restes, même lointains, de religion (qui dénie aux femmes, je vous le rappelle, le droit d’étudier les textes bibliques [voyez Yentl] et le droit d’accéder à la transcendance, qui confie comme mission à l’homme de tracer les initiatives de transformation du monde et à la femme simplement celle d’élever les enfants et d’appliquer les règles religieuses à la maison [« la garde »]. Heureusement qu’il y a la rabba Delphine Horvilleur, le rabbin Dalsace, Liliane Vana, etc., pour développer vigoureusement de très courageux argumentaires contre ces traditions rétrogrades.
A cette influence religieuse, j’ajoute la coutume bien ancrée du patriarcat familial juif, et même d’un certain machisme, illustrée déjà (en majorité) par nos papas et notre couple parental, par la conception implicite qu’ils nous transmettaient d’un couple juif à l’homme dominant et à la femme soumise (pour autant, je précise que, contrairement à ce que prétendent les anti-féministes, nous ne cherchons absolument pas à inverser les rapports de dominance).
Et je complète par quelques souvenirs personnels, en mentionnant la nature des rapports entre garçons et filles dans la communauté juive, du moins dans ma génération (je vous parle-là des années 1950).
Je vous passe, ce faisant, le fait qu’après guerre, bien des familles vivaient en dehors de la communauté parce qu’elles étaient laïques, pas spécialement bundistes, et que, les familles ayant été décimées par la Shoah, il n’y avait guère de vivier juif au sein duquel piocher pour se marier, alors même que l’impératif familial tacite d’endogamie restait très fort. Double bind.
Bref. La situation d’une jeune fille juive à cette époque n’était pas facile.
Autre exemple, lorsque nous étions étudiants, les garçons, brillants intellectuels qui nous attiraient à l’UEJF se révélaient parfois trop sûrs d’eux, tout en étant un peu immatures ; ils nous inhibaient au point que les filles osaient très peu prendre la parole dans les assemblées (ce par rapport à quoi, d’ailleurs, les groupes féministes non-mixtes nous ont plus tard libérées). Peut-être les yiddishe mamés de ces garçons les avaient-elles involontairement abîmés, par excès d’enveloppement…. De toute façon, ils se méfiaient souvent des filles intellectuelles, ou même pratiquaient parfois « l’exogamie névrotique », cherchant comme partenaires l’exact opposé de leur mère…
Nous avons ainsi au total gardé quelques stigmates de notre jeunesse, d’une manière ou d’une autre.
Pour résumer, nous, Juives de ma génération, nous sentions « doublement minoritaires », ou assujetties à une « double peine », en quelque sorte. Car être femme, dans nos sociétés en général, c’est être déjà culturellement minoritaire. Mais être femme et juive, c’est être minoritaire du minoritaire.
Aussi notre groupe « Femmes Juives » nous a-t-il fait prendre conscience que nous avions à continuer à faire preuve d’une certaine vigilance féministe à l’intérieur de la communauté juive.
Sinon, nous n’avions pas d’autre message à véhiculer à cette communauté en tant que féministes.
En guise de conclusion
Après 1970, Marienstras (auteur de ce très beau livre : « Etre un peuple en diaspora ») et le Cercle Crémieux, dont je faisais partie, avaient l’ambition qu’en France, les Juifs jouent un rôle politique dans la mise sur pied d’une gauche respectant les identités et la diversité culturelle de la population, dans une position non-assimilatrice, et cependant très fortement républicaine.
Un point de vue qu’ils appelaient « nationalitaire ».
Moi, j’étais sceptique sur l’influence que nous pouvions avoir sur la gauche politique et idéologique au sommet. Je pensais plutôt que notre « mission » diasporique était avant tout le devoir d’un certain apport intellectuel à la France, d’une certaine richesse culturelle – mais il reste à ramasser tous les morceaux de cette culture pour en théoriser la spécificité – et d’une lutte politique farouche pour la justice sociale. Mais je n’ai jamais osé ouvrir la bouche à Crémieux…
Désormais, hélas, cette ambition politique me semble bien trop élevée.
Et maintenant ? Je ne crois plus à une mission particulière de la diaspora juive, qui s’adresserait en tant que telle à la population française, et interviendrait au niveau des institutions.
Au-delà de cela, je ne suis pas multi-culturaliste, et je ne suis pas relativiste culturellement.
Je veux bien un « vivre ensemble », mais à certaines conditions très précises : une fermeté laïque absolue dans la République, un primat absolu de cette République, et une absence de communautarisme.
Je me revendique avant tout des valeurs universelles, encore une fois.
Assimilation : jamais, intégration, évidemment, toujours, et toujours à poursuivre. Le combat du diasporisme est, et reste, volontariste avant tout.
J’adhère donc à une identité juive diasporique solide, spécifique, culturellement riche et, si possible, joyeuse. Ce que j’appelle « l’anti-Shoah ».
Merci au Centre Medem et à Danièle Rosenfeld-Katz de m’avoir invitée.