Le Salon en otage

Avant même d’ouvrir ses portes, jeudi 13 mars, le Salon du livre de Paris a été pris en otage. C’était prévisible : Israël en est, cette année, l’invité d’honneur, et cela suffit, plus que jamais, à déclencher les soupçons, les passions et les interdits, pour ne pas dire les fatwas.

Plusieurs pays arabes, qui sont pourtant tout sauf des champions de la liberté de penser et d’écrire, l’Organisation de la conférence islamique, pour qui l’existence même d’Israël est un sacrilège, mais aussi des éditeurs et écrivains de langue arabe, mais encore quelques écrivains israéliens et jusqu’à l’une des plumes les plus prestigieuses du supplément littéraire du quotidien israélien Haaretz, Benny Ziffer : de tous côtés, des voix se sont élevées pour appeler au boycottage de cette manifestation.

C’était inévitable, donc. On aura beau dire que c’est la littérature et les écrivains d’un pays et non ce pays lui-même qui sont traditionnellement les hôtes privilégiés du Salon, la distinction est trop ténue pour éviter les amalgames : en 2002, par exemple, alors que l’Italie était invitée, des incidents avaient éclaté lors de la visite de deux ministres du gouvernement Berlusconi.

En outre, la concordance de cette invitation avec le soixantième anniversaire de la création de l’Etat d’Israël – soulignée par la visite d’État en France du président israélien Shimon Pérès, qui devait inaugurer le Salon jeudi soir – ne pouvait que cristalliser un peu plus la colère des protestataires. Mais ceux-ci ne se seraient certainement pas montrés plus conciliants si ce Salon avait eu lieu une autre année. Enfin, le fait que tous les auteurs officiellement invités écrivent en hébreu aiguise un peu plus les tensions, puisqu’elle exclut les communautés israéliennes d’expression russe ou arabe.

Pour autant, cette prise en otage de la littérature par la politique est absurde et choquante. Quoi qu’il exprime du réel, le livre est d’abord l’expression d’une singularité individuelle. Aussi enraciné soit-il dans l’Histoire, l’écrivain est d’abord héraut de liberté, de rencontre et de partage. Boycotter les livres, voire récuser une langue, a toujours été l’arme des dictatures.

Et il est d’autant plus paradoxal – mais absolument logique pour les adversaires irréductibles d’Israël – de récuser ce Salon que la plupart des écrivains israéliens qui y participent sont parmi les avocats les plus forts de la cause d’un Etat palestinien viable et indépendant, à côté de l’État d’Israël. Cela ne les empêche pas d’être viscéralement attachés à leur pays et à leur langue. Mais tout autant à la paix. C’est cette paix, dans les livres comme sur le terrain, qui paraît malheureusement, plus que jamais, menacée par les partisans de la politique du pire.