Boycotter Israël ou l’écouter ?




LM 14 03 08 Boycotter Israël ou l’écouter

Je ne pense pas qu'un Etat qui maintient une occupation, commettant quotidiennement des crimes contre des civils, mérite d'être invité à quelque semaine culturelle que ce soit." Celui qui écrit ces lignes n'est ni l'Algérien Sansal ni le Libanais Maalouf, encore moins l'auteur de cette tribune, mais un Israélien, un juif israélien, grand poète devant l'Eternel : Aharon Shabtaï.

Ce boycottage, plus éloquent et plus intrépide que celui décrété du fond de leurs palais ou du haut de leurs chaires par nos prescripteurs arabes, est soutenu par des citoyens d'Israël, et non des moindres, à l'exemple de Benny Ziffer, le rédacteur en chef du supplément littéraire de Haaretz... Lesdits prescripteurs, quant à eux, nous assurent que leur appel au boycottage est dicté par la seule volonté de signifier à la France que la présence d'Israël au Salon du livre de Paris, comme à la Fiera del libro de Turin, est l'expression d'un déni, pire : de la commémoration d'un déni, celui de l'injustice faite depuis soixante ans au peuple palestinien.

Pour ne remonter qu'aux dernières décennies, qui a osé traiter les responsables israéliens de "clique sans morale de hors-la-loi corrompus, sourds à la fois à leurs concitoyens et à leurs ennemis" ? Et qui a dit : "Il ne s'agit plus de libérer les territoires occupés, mais de libérer Israël des territoires occupés" ? Ce ne sont ni des historiens arabes ni des antisionistes notoires, mais bel et bien des intellectuels israéliens : feu Yechayahou Leibovitz et Avraham Burg, ancien président de la Knesset ! Ce sont, entre autres, des hommes de cette trempe que certains ont l'outrecuidance de nous interdire de rencontrer, de découvrir ou simplement d'approcher !

Qui a osé déclarer à la face d'Israël : "Le prix de l'occupation est la corruption de la société israélienne tout entière" (...) ? Pas une quelconque organisation antisioniste, mais le mouvement des réservistes israéliens, dans son manifeste du 25 janvier 2002... Et c'est avec les camarades de ces hommes et de ces femmes que le 28e Salon du livre nous donne l'occasion inespérée d'entamer dialogues et débats, débats qu'un boycottage irresponsable vise à diaboliser. Au nom ou au service de quelle cause ? Celle des Palestiniens ? Fourberie et mascarade que tout cela !

Oui, la mise à l'honneur d'Israël, dont on connaît le refus d'appliquer les résolutions de l'ONU (une soixantaine, soit une résolution en moyenne par année d'occupation !), oui, l'inauguration du Salon du livre de Paris par le président français et son homologue israélien, tout cela s'apparente, pour reprendre les mots de Aharon Shabtaï, à "une célébration d'Israël, sans la moindre considération pour le calvaire de près de quatre millions de Palestiniens, qui vivent dans une situation similaire à celle des Noirs (du temps) de l'apartheid..."

Mais que faire ? Que faire d'autre, pour ne pas souscrire bêtement à un boycottage qui, lui, s'apparente plutôt à une démission ? Que faire, pour dépasser cette impuissance et cet agacement, qui, chez nombre d'intellectuels arabes de France, frisent le désespoir : impuissance devant le mystère Israël, sa mise "à part des nations" ; agacement face à ce chantage à l'antisémitisme pratiqué sciemment par nombre d'intellectuels juifs de France, écrivains, philosophes, cinéastes, universitaires... dont le soutien inconditionnel à Israël constitue un autre mystère, quand on sait qu'en Israël même, leurs pairs font preuve de plus d'indépendance, de courage et d'esprit critique... Il est vrai que les Israéliens de l'intérieur, eux, n'ayant pas de culpabilité à entretenir, celle du choix de la diaspora, se sont affranchis depuis longtemps de l'obligation de réserve dictée par cette édifiante sentence talmudique selon laquelle "Israël, même s'il a péché, reste Israël" !...

Que faire, donc ? Pour ma part, j'appelle vivement mes "frères" arabes à écouter Israël, car il y a un Israël audible. Comme il y a un sionisme "recevable", un sionisme nouveau, né en catimini, celui qui fit qu'en 2003 des jeunes juifs de France osèrent se définir comme "sionistes et propalestiniens", celui qui promet de rétablir ou de confirmer les deux peuples dans leurs droits respectifs, et serait le corollaire d'un nouveau messianisme, "laïcisé".

Ce sionisme-là se trouve incarné aujourd'hui par des héritiers du professeur Leibovitz, tels l'historien refuznik Benny Morris, les écrivains Avraham Burg et David Grossman. Or, ce sont les mêmes David Grossman et Avraham Burg qui, avec tant d'autres encore, seront du 14 au 19 mars à la porte de Versailles.

Faisons donc fi de ce machiavélisme flagrant qui, sous couvert d'une manifestation culturelle, veut commémorer six décennies d'une occupation inique, et allons à la rencontre de ces écrivains qui, en Israël même, constituent de vrais remparts à la politique coloniale d'Israël, et à son effarante impunité ; les seuls à reconnaître le poids des mots d'Elias Sanbar : "Vous occupez nos territoires le jour ; nous occupons vos têtes la nuit."