Les écrivains israéliens à Paris, une chance

L’invitation d’Israël au Salon du livre de Paris suscite une vague de commentaires habituels dès lors qu’il s’agit de ce pays. L’appel au boycottage de cette manifestation culturelle par la plupart des pays arabes est certes regrettable mais tout à fait attendu, Israël y est rompu depuis belle lurette, quel que soit le contexte politique du moment. Le boycottage, au-delà des faux-semblants, est un appel à la négation pure et simple d’une identité, d’un Etat dont l’existence ne cesse d’être remise en question.

Silence

Ce qui surprend en revanche, c’est le silence assourdissant de l’ensemble de la communauté des écrivains et éditeurs français qui participe de fait au Salon du livre. Pas un mot, pas une ligne pour souligner que cette manifestation offre justement la possibilité de se parler par-delà les pesanteurs diplomatiques habituelles. Pas un mot, pas une ligne pour dire la formidable opportunité que nous donne cette manifestation pour découvrir, échanger, polémiquer, voire comprendre ! Pas un mot, pas une ligne pour rappeler que ce ne sont pas des représentants officiels d’un Etat qui sont invités, mais des écrivains !
Nous regrettons profondément aussi l’attitude (devrions-nous dire la posture ?) de la plupart des écrivains arabes appelant au boycottage d’un pays coupable, selon eux, de “crimes contre l’humanité”.

La belle affaire !

Outre que ces écrivains ont l’indignation sélective, nous aurions aimé entendre, par exemple, l’écrivain égyptien Alaa El Aswany nous donner son sentiment sur les centaines de milliers de Darfouris assassinés sur le territoire d’un pays voisin du sien, le Soudan, dont nombre de survivants, comble de l’ironie, se réfugient en Israël après avoir été traités comme du bétail humain par l’Egypte !
Le monde arabe est malheureusement criblé d’exemples de ce genre. Les intellectuels arabes qui ont le courage de les dénoncer sont menacés physiquement dans leurs propres pays. Qui en parle ?

LE SALON N’EST PAS L’ONU

On a tout à fait le droit de critiquer la politique du gouvernement israélien, nombre d’auteurs de ce pays n’ont pas attendu les contempteurs habituels, c’est même un sport national et c’est plutôt la preuve d’une vigueur démocratique assez rare dans la région. Regardez, lisez les romans, les témoignages, les livres d’historiens publiés sur les différentes guerres qu’a connues Israël aussi bien que sur la société civile et ses injustices, vous y trouverez les critiques, les interrogations, les oeuvres les plus aiguës, les plus talentueuses. On aimerait en lire d’équivalentes provenant de l’autre camp. Faut-il ici rappeler que les vingt-deux pays arabes réunis traduisent moins de titres étrangers que la Grèce ?

Instrumentalisation

Ce Salon du livre n’est pas l’ONU ou un TPI, c’est, ce devrait être, le lieu de tous les possibles. Mais l’écrivain qui se fait porte-voix de son gouvernement, quel qu’il soit, est un idéologue, non un créateur ; l’écrivain égyptien, par exemple, qui entend profiter de cette manifestation pour “distribuer des photos d’enfants palestiniens victimes de la politique israélienne” instrumentalise grossièrement le malheur au lieu d’essayer de le penser, ce qu’on serait en droit d’attendre de lui.

Aussi nous saluons nos confrères arabes qui bravent courageusement les menaces et interdiction qui leur sont faites de participer au Salon du livre par leurs gouvernements respectifs, qu’ils soient ici les bienvenus.

Et nous serons ravis, demain, nous l’espérons, de participer à un Salon du livre où l’Etat palestinien, libre et démocratique, sera l’invité d’honneur de la France, où toutes les sensibilités littéraires et intellectuelles de ce pays en devenir seront représentées et pourront s’exprimer en toute liberté.