Les écrivains israéliens à Paris, une chance

L’invitation d’Israël au Salon du livre de Paris suscite une vague de commentaires habituels dès lors qu’il s’agit de ce pays. L’appel au boycottage de cette manifestation culturelle par la plupart des pays arabes est certes regrettable mais tout à fait attendu, Israël y est rompu depuis belle lurette, quel que soit le contexte politique du moment. Le boycottage, au-delà des faux-semblants, est un appel à la négation pure et simple d’une identité, d’un Etat dont l’existence ne cesse d’être remise en question.

Silence

Ce qui surprend en revanche, c’est le silence assourdissant de l’ensemble de la communauté des écrivains et éditeurs français qui participe de fait au Salon du livre. Pas un mot, pas une ligne pour souligner que cette manifestation offre justement la possibilité de se parler par-delà les pesanteurs diplomatiques habituelles. Pas un mot, pas une ligne pour dire la formidable opportunité que nous donne cette manifestation pour découvrir, échanger, polémiquer, voire comprendre ! Pas un mot, pas une ligne pour rappeler que ce ne sont pas des représentants officiels d’un Etat qui sont invités, mais des écrivains !
Nous regrettons profondément aussi l’attitude (devrions-nous dire la posture ?) de la plupart des écrivains arabes appelant au boycottage d’un pays coupable, selon eux, de “crimes contre l’humanité”.

La belle affaire !

Outre que ces écrivains ont l’indignation sélective, nous aurions aimé entendre, par exemple, l’écrivain égyptien Alaa El Aswany nous donner son sentiment sur les centaines de milliers de Darfouris assassinés sur le territoire d’un pays voisin du sien, le Soudan, dont nombre de survivants, comble de l’ironie, se réfugient en Israël après avoir été traités comme du bétail humain par l’Egypte !
Le monde arabe est malheureusement criblé d’exemples de ce genre. Les intellectuels arabes qui ont le courage de les dénoncer sont menacés physiquement dans leurs propres pays. Qui en parle ?

LE SALON N’EST PAS L’ONU

On a tout à fait le droit de critiquer la politique du gouvernement israélien, nombre d’auteurs de ce pays n’ont pas attendu les contempteurs habituels, c’est même un sport national et c’est plutôt la preuve d’une vigueur démocratique assez rare dans la région. Regardez, lisez les romans, les témoignages, les livres d’historiens publiés sur les différentes guerres qu’a connues Israël aussi bien que sur la société civile et ses injustices, vous y trouverez les critiques, les interrogations, les oeuvres les plus aiguës, les plus talentueuses. On aimerait en lire d’équivalentes provenant de l’autre camp. Faut-il ici rappeler que les vingt-deux pays arabes réunis traduisent moins de titres étrangers que la Grèce ?

Instrumentalisation

Ce Salon du livre n’est pas l’ONU ou un TPI, c’est, ce devrait être, le lieu de tous les possibles. Mais l’écrivain qui se fait porte-voix de son gouvernement, quel qu’il soit, est un idéologue, non un créateur ; l’écrivain égyptien, par exemple, qui entend profiter de cette manifestation pour “distribuer des photos d’enfants palestiniens victimes de la politique israélienne” instrumentalise grossièrement le malheur au lieu d’essayer de le penser, ce qu’on serait en droit d’attendre de lui.

Aussi nous saluons nos confrères arabes qui bravent courageusement les menaces et interdiction qui leur sont faites de participer au Salon du livre par leurs gouvernements respectifs, qu’ils soient ici les bienvenus.

Et nous serons ravis, demain, nous l’espérons, de participer à un Salon du livre où l’Etat palestinien, libre et démocratique, sera l’invité d’honneur de la France, où toutes les sensibilités littéraires et intellectuelles de ce pays en devenir seront représentées et pourront s’exprimer en toute liberté.

Le non-sens d’un boycottage

Dans ces colonnes (Le Monde du 28 février), Tariq Ramadan prétend ne pas nier l’existence de l’Etat d’Israël et ne pas appeler à sa destruction. Certes, ce n’est pas la présence d’un stand israélien au Salon du Bourget, où chaque année se pressent acheteurs d’armes de tous pays, y compris arabes, qu’il condamne, mais la présence de l’Etat hébreu, en tant qu’invité d’honneur cette année, celle de ses soixante ans d’existence, au Salon du livre de Paris. Il est vrai que le livre est une arme bien plus redoutable pour garantir la sécurité d’un pays que ses avions et ses tanks.
Effectivement, M. Ramadan n’écrit nulle part qu’il condamne l’existence d’Israël. Il se contente de “rappeler les soixante années de colonisation” qui accompagnent son histoire. Si c’est, selon lui, depuis soixante ans et non pas quarante qu’Israël occupe un territoire et colonise un peuple, n’est-ce pas là une remise en question fondamentale de son droit à l’existence ? Sur quel territoire lui reconnaît-il aujourd’hui le droit à exister ?

LES MEILLEURS AVOCATS

En joignant sa voix à la voix de ceux qui, à Turin, appellent au boycottage d’Israël, ou qui, à Paris, en critiquent la présence au Salon, c’est bien à la culture de ce pays que s’attaque M. Ramadan, contrairement à ce qu’il prétend. Que véhicule en effet un livre, sinon une langue et une identité ?
Une langue, d’abord, celle dans laquelle doivent écrire, conformément aux critères de sélection retenus par le Centre national du livre, les écrivains invités à représenter Israël. Contrairement d’ailleurs à ce que prétendent M. Ramadan et ceux qu’il soutient, n’en sont pas exclus des écrivains arabes israéliens, comme l’atteste la présence de Sayed Kashua et de Naim Araidi au sein de cette délégation. Une identité multiple, enfin, à l’image de ce pays, et qui ne se définit en aucun cas comme la négation de l’autre, celle du Palestinien, ce dont témoignent la majorité des écrits des auteurs invités.
Et là se situe sans doute le paradoxe étonnant de la position défendue par M. Ramadan : la plupart de ces écrivains se trouvent être les meilleurs avocats de la cause palestinienne au sein de la société israélienne. Beaucoup d’entre eux sont les porte-parole de ceux qui, depuis des années, se battent pour la fin de l’occupation et la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël, certains appelant à négocier avec le Hamas pour mettre fin à la tragédie qui ensanglante actuellement les rues de Gaza et de Sdérot.
Mais, comme me l’ont souvent dit mes amis palestiniens, il arrive fréquemment que certains défenseurs de la cause palestinienne à l’étranger soient plus maximalistes que ne le sont les Palestiniens eux-mêmes. M. Ramadan ne nie donc pas à Israël le droit à l’existence, il se limite à lui contester le droit à un territoire, le droit à une langue et à une identité !


David Chemla est président de l’association La paix maintenant.

Durban 2 / L’ONU contre les droits de l’Homme

L’année 2008 verra-t-elle simultanément le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’ONU et la destruction de ses principes par la même ONU ?

Tout porte à le redouter, tant depuis un certain nombre d’années, par ses dérives, l’ONU s’est caricaturée.

Durban

A Durban, en Afrique du Sud, s’est tenue en 2001 la Conférence mondiale contre le racisme, à l’initiative des Nations unies, dans la ville même où Gandhi avait commencé à exercer son métier d’avocat. C’est au nom des droits des peuples que furent scandés des “mort à l’Amérique !” et “mort à Israël !” ; et c’est au nom du relativisme culturel qu’on fit silence sur les discriminations et violences commises contre les femmes.
Alarmée par les graves dysfonctionnements ainsi mis en lumière au sein de sa Commission des droits de l’homme, l’ONU inaugurait en juin 2006 un tout nouveau Conseil des droits de l’homme (CDH), censé remédier à de si préoccupantes dérives. Aujourd’hui, le constat est plus qu’amer : c’est à la consécration même de ces dérives que nous assistons dans la perspective du forum dit de Durban 2, qui se tiendra en 2009. Plus gravement encore, l’élaboration officielle de nouvelles normes marquera, si celles-ci sont gravées dans le marbre d’une nouvelle et très particulière “déclaration des droits de l’homme”, la mise à mort de l’universalité des droits.
Par sa mécanique interne, les coalitions et les alliances qui s’y constituent, les discours qui s’y tiennent, les textes qui s’y négocient et la terminologie utilisée anéantissent la liberté d’expression, légitiment l’oppression des femmes et stigmatisent les démocraties occidentales.

le CDH

Le CDH est devenu une machine de guerre idéologique à l’encontre de ses principes fondateurs. Ignorée des grands médias, jour après jour, session après session, résolution après résolution, une rhétorique politique est forgée pour légitimer les passages à l’acte et les violences de demain.
Une triple alliance composée de la Conférence des organisations islamiques (OCI), représentée jusqu’à ce jour par le Pakistan, du Mouvement des non-alignés, où Cuba, le Venezuela et l’Iran ont un rôle central, et de la Chine – avec la complaisance cynique de la Russie – oeuvre ainsi à la mise en place d’une véritable révolution prétendument “multiculturelle”. Ainsi, le rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, Doudou Diène, déclare d’ores et déjà qu’énoncer une critique contre le port de la burqa constitue une agression raciste, que la laïcité est ancrée dans une culture esclavagiste et colonialiste et que la loi française contre le port des signes religieux à l’école participe du racisme antimusulman, renommé “islamophobie occidentale”.

Louise Harbour

La confusion des esprits est à son comble quand est dénoncée comme une attitude raciste toute critique de la religion. C’est une menace radicale contre la liberté de penser qui est en train d’être cautionnée par l’ONU. En assimilant au racisme toute critique des dérives de ceux qui parlent au nom de l’islam, parce que supposée relever d’attitudes néocolonialistes, les porte-parole de cette nouvelle alliance serrent un peu plus le garrot qu’ils ont passé au cou de leurs propres peuples et sapent les fondements d’une civilité très chèrement acquise en Europe depuis les guerres de religion. En septembre 2007, la haut-commissaire aux droits de l’homme, Louise Arbour, participait à une conférence à Téhéran consacrée aux “droits de l’homme et (à) la diversité culturelle”. Portant le voile, comme la loi de la République islamique l’exige, la haut-commissaire a été le témoin passif de l’énoncé des principes à venir, ainsi résumés : “offense aux valeurs religieuses considérée comme raciste”.

Bien pire, dès le lendemain de cette visite, vingt et un Iraniens, dont plusieurs mineurs, furent pendus en public. C’est en sa présence que le président Ahmadinejad a renouvelé son appel à la destruction d’Israël, pays membre de l’ONU, créé par cette dernière. Interrogée sur son silence, la haut-commissaire a justifié sa passivité par le respect de la loi iranienne, auquel, en tant que juriste, elle s’estimait tenue, et par souci de “ne pas offenser ses hôtes”. Charbonnier est maître chez soi… C’est le docteur Goebbels qui utilisait cet argument d’opportunité, à la tribune de la Société des nations en 1933, pour se soustraire à toute critique d’une institution internationale impuissante, mais dont les principes n’étaient au moins pas dévoyés comme ceux de l’ONU aujourd’hui.

Les grands crimes politiques ont toujours eu besoin de mots pour se légitimer. La parole annonce le passage à l’acte. De Mein Kampf à Radio Mille Collines, de Staline à Pol Pot, les exemples abondent pour confirmer la nécessaire extermination de l’ennemi du peuple au nom de la race, au nom de l’émancipation des masses laborieuses ou au nom d’un ordre supposé divin. Les idéologies totalitaires avaient remplacé les religions. Leurs crimes, les promesses non tenues “d’avenir radieux” ont ouvert grande la porte au retour de Dieu en politique.
Le 11 septembre 2001, quelques jours après la fin de la conférence de Durban, c’est bien au nom de Dieu que le plus grand crime terroriste de l’histoire fut commis.

Passivite

Face à cette stratégie, les démocraties, d’abord soucieuses de leur balance commerciale, font preuve d’une extraordinaire passivité. Que pèse le sort du peuple tibétain face aux enjeux des exportations vers la Chine ? Quel est le prix de la liberté pour Ayaan Hirsi Ali, ex-députée néerlandaise, menacée de mort, après l’assassinat en 2004 de son ami le réalisateur Théo Van Gogh, accusé d’avoir blasphémé l’islam dans le film Soumission ? Les exemples s’additionnent qui, de Taslima Nasreen à Salman Rushdie, de Robert Redeker à Mohamed Sifaoui, apportent la preuve que l’intégrisme islamiste impose sa loi par la terreur. Combien d’Algériens, de femmes au Maghreb, au Proche-Orient, en Turquie, au Pakistan ont déjà payé du prix de leur vie le refus de se soumettre à l’obscurantisme religieux ?
Si, par malheur, l’ONU devait consacrer l’imposition de tels critères, si le blasphème devait être assimilé à du racisme, si le droit à la critique de la religion devait être mis hors la loi, si la loi religieuse devait s’inscrire dans les normes internationales, ce serait une régression aux conséquences désastreuses, et une perversion radicale de toute notre tradition de lutte contre le racisme, qui n’a pu et ne peut se développer que dans la liberté de conscience la plus absolue.
L’Assemblée générale de décembre 2007 a déjà entériné des textes condamnant des formes d’expression considérées comme diffamatoires de l’islam. L’enjeu est clair, il est mondial : c’est de la défense des libertés de l’individu qu’il est question.

Le Canada

Soit les démocraties se ressaisissent, à l’exemple du Canada, qui vient d’annoncer son refus de participer à la conférence de Durban 2, estimant qu’elle risquait d’être “marquée par des expressions d’intolérance et d’antisémitisme”, et cessent de s’abstenir ou de voter des résolutions contraires à l’idéal universel de 1948, soit l’obscurantisme religieux et son cortège de crimes politiques triompheront, sous les bons auspices des Nations unies. Et lorsque les paroles de haine seront transformées en actes, nul ne pourra dire : “Nous ne savions pas.”


Premiers signataires : Elisabeth Badinter, Adrien Barrot, Patrice Billaud, Pascal Bruckner, Jean-Claude Buhrer, Chala Chafiq, Georges Charpak, Christian Charrière-Bournazel, Bernard Debré, Chahdortt Djavann, Jacques Dugowson, Frédéric Encel, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay, Patrick Gaubert, Claude Goasguen, Thierry Jonquet, Liliane Kandel, Patrick Kessel, Catherine Kintzler, Claude Lanzmann, Michel Laval, Barbara Lefevbre, Corinne Lepage, Malka Marcovich, Albert Memmi, Jean-Philippe Moinet, Jean-Claude Pecker, Philippe Schmidt, Alain Seksig, Mohamed Sifaoui, Antoine Spire, Pierre-André Taguieff, Jacques Tarnero, Michèle Tribalat, Michèle Vianes,Elie Wiesel, Michel Zaoui.

Signatures de soutien à ce texte par e-mail à licra@licra.org. Liste complète des signataires sur www.licra.org.

Iran en Irak : la fausse victoire

Visite sans précédent

Sans précédent dans l’histoire moderne de la région, la visite de quarante-huit heures effectuée dimanche et lundi à Bagdad par Mahmoud Ahmadinejad, président de la République islamique d’Iran, n’aurait jamais pu avoir lieu si l’armée américaine n’avait pas envahi l’Irak en 2003 et renversé la dictature baasiste, laïque et presque génétiquement “anti-perse” du nationaliste arabe sunnite qu’était Saddam Hussein.
C’est “la grande ironie de l’Histoire” telle qu’elle est soulignée depuis des mois par tous les médias arabes et par nombre de gouvernants, sunnites et alliés de l’Amérique (Egypte, Jordanie, Arabie saoudite), qui craignent beaucoup, comme l’ont dit et répété le roi Abdallah II de Jordanie et le raïs égyptien Hosni Moubarak, la création d’un “croissant chiite” au Moyen-Orient.

Arrivée en fanfare

Peu charitables, les journaux arabes soulignaient, lundi, à l’envi combien “l‘arrivée en fanfare de Mahmoud Ahmadinejad à l’aéroport de Bagdad” tranchait avec “le secret et l’obsession sécuritaire qui ont entouré les visites de tous les leaders occidentaux, à commencer par celles du président Bush, engagés dans la guerre d’Irak“.
De Zalmaï Khalilzad, l’actuel ambassadeur américain aux Nations unies, à Henry Kissinger, l’ancien chef de la diplomatie de Nixon, en passant par le président George W. Bush, qui indique régulièrement qu’un départ précipité de ses troupes de l’ancienne Mésopotamie “offrirait l’Irak à l’Iran” sur un plateau, la plupart des experts s’accordent à penser que les invasions américaines post-11-Septembre dans la région ont “favorisé la position iranienne“, en débarrassant la République islamique d’au moins deux de ses ennemis les plus décidés : le régime taliban d’Afghanistan, renversé en novembre 2001, et celui des baasistes irakiens, dix-sept mois après.

Dimanche, même la presse saoudienne, qui n’est pas précisément pro-iranienne, ne pouvait s’empêcher d’ironiser sur la réception réservée à M. Ahmadinejad par le premier ministre irakien, Nouri Al-Maliki, au coeur même de la fameuse “zone verte“, ultrafortifiée, que les Américains ont créée en 2003 à Bagdad. Présents en très grand nombre dans cette zone sécurisée, les soldats américains n’ont “participé en rien” à la sécurité de l’Iranien, a précisé l’ambassade. Néanmoins, nous confie, de Bagdad, un participant aux festivités de dimanche, “entendre Ahmadinejad attaquer Bush, à un jet de pierre de la chancellerie américaine, avait quelque chose de surréaliste“.

Affrontements

Washington et Téhéran, qui continuent à s’affronter durement dans toutes les enceintes internationales à propos du nucléaire et des ambitions expansionnistes régionales de l’Iran, partagent pourtant, à présent, au moins un objectif commun : celui de soutenir les pouvoirs, fragiles et instables, mis en place à Kaboul et à Bagdad dans le sillage des bombardements. On affirme cependant périodiquement, à Washington, que l’intérêt de Téhéran, dans ces deux pays, est aussi, d’une part, de veiller à y conserver, voire à y entretenir, une certaine instabilité, de manière à les contraindre à solliciter l’aide iranienne, et, d’autre part, de “fixer” les troupes américaines dans les guérillas, pour entraver une éventuelle attaque contre leur régime.

Téhéran nie tout, bien entendu. “Notre intérêt est la stabilité de l’Irak“, a répété M. Ahmadinejad, à Bagdad, ironisant sur “le ridicule qu’il y a, pour ceux qui ont envoyé 160 000 soldats en Irak, à nous accuser faussement d’intervenir dans ce pays“. Il est cependant évident pour tout le monde dans la région que l’Iran n’a aucun intérêt à renforcer des pouvoirs régionaux alliés du “grand satan“.

Quelles que soient les promesses émises dans les débats de campagne aux Etats-Unis, les principaux acteurs de la région, à commencer par les dirigeants irakiens, n’imaginent pas une seconde – ni d’ailleurs ne souhaitent, pour beaucoup d’entre eux – le départ complet et définitif d’Irak des Américains. Au-delà des motivations de politique interne et de la volonté officielle d’établir une “solide amitié” avec l’Irak, il est possible qu’une des clefs du calendrier de la visite de M. Ahmadinejad à Bagdad – pourquoi maintenant et pas après la fin de l’administration Bush, début 2009 ? – soit la volonté iranienne d’entraver autant que faire se peut les négociations irako-américaines en cours, visant à “solidifier” le stationnement à long terme d’un grand nombre de soldats américains en Irak.

Bases militaires

Officiellement, “les Etats-Unis ne cherchent pas à établir de bases militaires permanentes en Irak“, affirme Robert Gates, secrétaire à la défense, aux parlementaires démocrates qui s’en inquiètent. Mais la “déclaration de principes pour l’amitié et la coopération“, conclue le 26 novembre 2007 entre M. Bush et M. Al-Maliki, chef du gouvernement irakien, comporte bel et bien une dimension sécuritaire. Une négociation est en cours sur un “statut des forces” américaines qui resteront présentes sur le sol irakien – on parle, à Bagdad, de 50 000 à 60 000 hommes – après que la “souveraineté totale” du pays aura été restituée à son gouvernement élu, par les Nations unies, vers la fin 2008.
Les travaux d’agrandissement et de modernisation en cours dans près d’une demi-douzaine de bases militaires présentement occupées par les forces américaines pourraient leur permettre d’héberger “autour de 100 000 hommes“, nous disait récemment, à Bagdad, un haut fonctionnaire irakien familier des négociations. En d’autres termes, quelles que soient les ambitions iraniennes dans ce pays, et mis à part les échanges économiques, culturels et religieux qui se multiplient entre les deux peuples, majoritairement chiites, l’Iran islamique n’aura pas le champ complètement libre en Irak avant longtemps.

Encerclement

De fait, la victoire iranienne, qui serait née des erreurs de l’administration Bush dans la région, doit être sérieusement relativisée. Pour un politologue iranien en exil comme Kaveh L. Afrisiabi, auteur de nombreux ouvrages sur la République islamique, tout le trompe-l’œil de “la prétendue avancée des intérêts iraniens dans la région” est là. “L’Iran est désormais encerclé de bases américaines“, écrit-il, et, pour ses dirigeants, “c’est devenu une préoccupation permanente“.
Selon cet expert, “malgré la chute des talibans et des baasistes irakiens, l’Iran, depuis le 11 septembre 2001, a perdu du terrain dans sa région d’influence“.

Israël, le sens d’un boycottage

Depuis des semaines, les médias italiens se sont mobilisés autour de la question du boycottage de la Foire du livre de Turin, qui célèbre Israël à l’occasion de son soixantième anniversaire. Nous avons tout entendu, des contre-vérités et des déclarations qui ont semé la confusion sur les termes du débat et les positions respectives.

Je ne suis pas l’initiateur de cet appel au boycottage et, lorsque j’ai été appelé par un journaliste de l’agence ATIC, j’ai effectivement soutenu cette action en affirmant que cette célébration était une provocation et que l’on ne pouvait pas tout accepter de l’État d’Israël (je n’ai jamais dit : qu'”on ne pouvait rien accepter d’Israël” : cette mauvaise traduction de la langue arabe est due à l’ATIC, qui a reconnu son erreur).
Le boycottage ne signifie pas nier l’existence d’Israël : je ne nie pas cette dernière, mais je m’oppose à la politique d’occupation et de répression des gouvernements israéliens successifs. J’ai combattu et je continuerai à combattre l’antisémitisme et le racisme : je participe à des cercles de réflexion judéo-musulmans, mais je n’accepte pas le chantage auquel des politiciens, des intellectuels et certains médias nous soumettent.

Confondre la critique de la politique d’Israël avec l’antisémitisme est une imposture.

Une injure à la conscience humaine et à la dignité des Palestiniens qui consiste à se mettre aveuglément du côté des plus forts en considérant que la vie des plus faibles n’a pas de valeur. La célébration des 60 ans d’un État, sauf à nous prendre pour des imbéciles, est éminemment politique.

S’y opposer ne veut pas dire nier la culture et la liberté d’expression des écrivains israéliens. Leur invitation est légitime même si l’absence d’invitation aux auteurs israéliens arabes, chrétiens ou musulmans, est bien étrange : quelle idée les organisateurs de la Foire se font-ils de la composition de la société israélienne ? On a affirmé que mon soutien s’apparentait à une fatwa ! Non content d’avoir déformé ma position, voilà que l’on veut y ajouter le scandale et la frayeur en utilisant le mot “fatwa”, qui rappelle la triste “affaire Salman Rushdie”.
Outre le fait que j’ai condamné dès le début la fatwa contre ce dernier, il faut préciser que ce soutien au boycottage n’a rien d’un avis religieux.
En panne d’arguments, mes adversaires veulent me diaboliser : “Tariq Ramadan est un antisémite qui a lancé une fatwa !” Un tel propos est indigne de gens qui disent respecter la culture et le dialogue. Je n’ai rien à ajouter sur ce point.

Le boycottage est le moyen que les défenseurs des droits des Palestiniens ont choisi, en Italie, pour faire entendre une voix de protestation dans l’hymne d’une célébration d’Israël qui cache la sombre réalité des territoires occupés.

J’ai appris récemment que les organisations de défense des Palestiniens avaient, en France, fait un choix inverse : elles ont décidé de s’installer fermement au prochain Salon du livre (du 14 au 19 mars), d’y commémorer les soixante années de l’autre réalité, celle de la Nakba (catastrophe) des Palestiniens, et d’inviter des intellectuels et des auteurs arabes, palestiniens et israéliens à en débattre. Je soutiens cette initiative sans aucune réserve : il s’agit, ici aussi, de défendre la dignité des Palestiniens et de ne pas permettre que la célébration des 60 ans d’Israël puisse faire l’impasse sur le sort d’un peuple réprimé et sacrifié.

Boycottage à Turin, présence critique à Paris, il n’y a rien là de contradictoire. Ce qui compte aujourd’hui, au-delà des stratégies employées, c’est de rompre le silence, de faire entendre des voix qui refusent les manipulations politiques et exigent que la politique des gouvernements israéliens successifs soit jugée comme toutes les autres quand elle est indigne et qu’elle ne respecte pas les résolutions de l’ONU et le droit international.

Il s’agit de rappeler les soixante années de colonisation, de déplacement de populations, d’exil et de morts palestiniens qui sont le miroir négatif de la célébration d’Israël. Contrairement à ce qu’affirme Marek Halter (Le Monde du 15 février), je n’ai jamais appelé à la destruction d’Israël et je ne suis l’idéologue d’aucun Etat ni d’aucune organisation dont ce serait le programme. Ces propos sont consternants et malhonnêtes.
Je continue de penser que le choix d’Israël comme invité d’honneur, au moment où le peuple palestinien se meurt à Gaza, est une maladresse et une faute. Ce geste est exactement à l’image du positionnement politique de l’Europe : on célèbre Israël, on maintient constamment la confusion entre critique politique et antisémitisme et, surtout, on entretient une “conspiration du silence” vis-à-vis de la politique d’apartheid d’Israël. Ce choix “culturel” fait écho au silence “politique” en contribuant à déplacer le problème comme les partisans aveugles de la politique de l’Etat d’Israël savent si bien le faire.

Au moyen du boycottage, ou en organisant une autre célébration, un “autre Salon” au coeur du Salon du livre, l’objectif est le même : dénoncer l’injustice ! Qui donc pourrait aujourd’hui nous reprocher d’utiliser tous les moyens pacifiques que nous avons à notre disposition ? Les excès des réactions verbales auxquelles nous avons eu affaire prouvent que la violence n’est pas du côté que l’on croit.

Notre silence, dans les pays majoritairement musulmans comme en Occident, est l’une des causes de la violence au Moyen-Orient ! Nous sommes nombreux, et parmi nous des Israéliens et des juifs, à avoir décidé de ne pas nous taire à l’heure où l’on célèbre l’anniversaire d’un Etat qui pratique les assassinats politiques ciblés et affame tout un peuple. Je participerais sans aucune hésitation à des panels de discussions et de débats avec des auteurs israéliens sur des questions littéraires et philosophiques ou encore, par exemple, sur le sens et le droit de critiquer Israël.

Je serais le premier à répondre à une telle invitation et à encourager les auteurs arabes, palestiniens, chrétiens et musulmans à y répondre positivement. Néanmoins, de toute la force de ma conscience et de mon intelligence je m’opposerai aux manipulations politiciennes quand certains célèbrent de façon festive et que d’autres se meurent en silence et sans dignité.

Tariq Ramadan, islamologue, professeur à l’université d’Oxford, Saint Antony’s College

Le travail de mémoire ne se décrète pas

Le CLEJ, mouvement juif laïque de jeunesse, qui transmet, notamment, aux enfants, l’histoire de la Shoah depuis des décennies, s’insurge contre la proposition présidentielle.

Le CLEJ , Club laïque de l’enfance Juive, est un Mouvement de jeunesse issu du BUND (Union Générale des travailleurs juifs de Russie, de Pologne et de Lituanie), mouvement ouvrier juif créé en 1897 qui disparaîtra dans la tourmente nazie. Beaucoup de militants ont été exterminés, d’autres ont survécu. Nous sommes les héritiers de ces gens-là.

Nous organisons depuis de nombreuses années des colonies de vacances où la transmission de l’histoire et de la culture juive tiennent une grande place. Dans cette histoire, la Shoah occupe forcément une place particulière.

Nous nous élevons fermement contre la proposition de faire parrainer par les enfants de CM2 les 11000 enfants juifs déportés de France et exterminés lors de l’Occupation nazie avec la complicité active du Gouvernement de Vichy.

Le clientélisme de cette proposition annoncée lors du dîner annuel du CRIF nous est particulièrement odieux. La mémoire de cette tragédie est suffisamment traumatique pour qu’elle ne se transforme pas en un poids « officiel » sur la conscience de tous les enfants d’aujourd’hui âgés de 10 ans.
Comment parrainer un enfant mort, « parti en fumée », de mon âge, sans s’écrouler sous le poids de la culpabilité, « il est mort, je suis vivant », ou la rejeter violemment « je n’y suis pour rien » ?

Cette proposition révèle au mieux une incompréhension totale de la substance d’un véritable travail de mémoire, au pire une manipulation sur le mode compassionnel.

Evidemment, le devoir de mémoire et d’identification doit se faire, mais c’est aux adultes d’agir. Ainsi, la pose de plaques commémoratives dans les écoles, les collèges et les lycées à Paris est exemplaire. Cela permet aux enseignants de construire un vrai travail pédagogique.

De même, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah mène une action formidable de recherche historique, de mémoire et de pédagogie, permettant à de nombreux enseignants d’ évoquer avec leurs élèves cette atroce réalité, qui est et restera difficile à aborder et à comprendre.

Dans une société menacée par les communautarismes, l’initiative du Président se révèle contre-productive et dérape vers des rivalités mémorielles malsaines : « Pourquoi vos morts ont-ils plus de poids que les nôtres ? ». Nous pensons qu’au delà de cela, comme d’autres tragédies vécues par d’autres peuples à d’autres périodes, la Shoah est une catastrophe qui ne concerne pas uniquement le peuple juif, mais toute l’espèce humaine.

Faire comprendre et partager cette idée là ne se décrète pas.

Le comité du CLEJ

Le Bal de Kafka

Le Théâtre de l’Opprimé
78, Rue du Charolais
75012 PARIS
Métro Montgallet

présente une soirée spéciale du Centre MEDEM

Le Bal de Kafka

Pièce de Timothy DALY

mise en scène par Isabelle STARKIER

avec Anne LE GUERNEC, Erika VANDELET, Frédéric ANDRAU
et Anne MAUBERRET

Il s’agit d’une comédie drôle et émouvante. Drôle, Kafka ? Certainement, avec son personnage d’éternel adolescent écartelé entre sa famille réelle (la famille juive : un père autoritaire, une mère dépassée, une sœur rebelle et une fiancée coincée) et sa famille rêvée (les acteurs du théâtre yiddish).

Dans la lignée du théâtre yiddish, Timothy DALY, auteur et acteur australien, crée un univers grotesque qui met en scène dans un ballet alterné : le rêve et la réalité, les fantasmes et les mesquineries du quotidien, l’assimilation et la revendication identitaire.

Débat après le spectacle avec la metteur en scène

Isabelle STARKIER

Réservations à effectuer au 01 43 40 44 44

Communiqué

Hâtive et oppressante, la proposition de « confier à chaque élève de CM2 la mémoire d’un enfant français victime de la Shoah », inquiète et désole.
Cette décision du Président de la République, prise sans concertation, émise dans le brouhaha d’une réunion fortement médiatisée, n’est sans doute pas une manœuvre pour détourner l’attention sur une chute brutale de popularité dans la plupart des couches de la population. Mais, quelle que soit la justesse de l’intention, cette nouvelle intrusion improvisée du politique dans l’éducation, par delà les actions menées, les programmes, les inspecteurs, le ministre de l’Éducation Nationale, si elle était appliquée, viendrait placer l’Histoire dans le champ du compassionnel au lieu d’en faire un instrument de compréhension et de réflexion. Elle chargerait le poids du passé sur les frêles épaules d’un jeune enfant. Elle pourrait devenir un sujet de polémique mémorielle et finalement atteindre exactement le contraire du but fixé.

Une “gentillesse” trop brutale

Deux grands dangers menacent la mémoire de la Shoah : le premier, c’est de ne pas en parler ; le deuxième, c’est de mal en parler. Quand Primo Levi en 1946, la rage au ventre a voulu témoigner, son livre Si c’est un homme n’a pas dépassé 700 exemplaires tant il était insupportable. A la même époque, une grande fille de 14 ans racontait l’histoire supportable d’une gentille famille qui s’aimait et se disputait en huis clos, comme tout le monde. On s’identifiait à cette gamine intelligente et sympathique qui, à la fin du livre, mourait joliment, emmenée par un assassin invisible, la Gestapo. Le spectateur, ému, pleurait avec plaisir, et cette représentation, à la fois vraie et romancée, a joué un grand rôle dans la très nette diminution de l’antisémitisme en France.

Le poids des morts

Le 13 février, lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), notre sympathique président, dans son désir de bien faire a décidé de “confier à chaque élève de CM2 (10 ans) la mémoire d’un enfant français victime de la Shoah“.
Ma première réaction fut une crispation désagréable, comme si j’avais pensé : “C’est une gentillesse criminelle !” J’ai alors cherché autour de moi des cas où des adultes bien intentionnés avaient fait porter à un enfant le poids d’un autre enfant disparu. Dans mon expérience de praticien, quand un bébé est mis au monde afin de remplacer un aîné qui vient de mourir, on appelle ça un “enfant de remplacement”. Ces cas ne sont pas rares, et ces enfants souffrent d’un difficile développement affectif. Ils disent : “Pendant toute mon enfance, j’ai dû aller sur ma propre tombe puisque je portais les vêtements et le nom du mort dont je voyais la photo sur le marbre de ma tombe. Je n’étais pas aimé pour moi-même puisque l’autre était idéalisé donc mieux que moi. Dans ma famille, on n’aime que les morts. Si je veux être aimé, je dois me suicider.” Le poids d’une telle mémoire est un lourd fardeau pour un enfant de 10 ans.

Concurrence victimaire

Beaucoup de petits ne réagiront pas de cette manière. Si leurs parents soupirent d’un air excédé “encore la Shoah“, comme beaucoup de gens l’ont fait dès la fin de la guerre, les écoliers réciteront la mort du disparu comme une corvée ennuyeuse, une punition peut-être ? La banalisation de la Shoah leur mettra en mémoire que l’assassinat de sept adultes sur dix et de neuf enfants sur dix n’est qu’un détail de l’histoire. Beau cadeau pour les négationnistes. Dans certains groupes religieux qui composent notre société, on réagira avec colère : “Il n’y en a que pour les juifs, nous aussi on a souffert“, diront certains immigrés. Ils nous expliqueront que dans leurs pays d’origine on a tué beaucoup moins de juifs. “La persécution des juifs d’Europe ne fait pas partie de notre histoire“, diront-ils, exaspérés. D’autres déclareront, et ce sera justice, que les Arméniens aussi ont le droit de se plaindre et les Cambodgiens et les Rwandais et pas seulement le lobby juif. (Tiens, il y aurait donc un droit de se plaindre ?) J’en prévois même qui seront heureux d’ajouter que la mémoire des petits Palestiniens tués devra, elle aussi, être citée dans les écoles.

Le statut de victime

Enfin, les survivants de la Shoah, qui aujourd’hui atteignent un âge certain, entendront en une seule sentence disqualifier les efforts de toute leur existence. Ils se sont tus pendant quarante ans parce que la Shoah était difficile à dire et impossible à entendre. Ils croyaient même que leur silence protégerait ceux qu’ils aimaient. C’est difficile de se poser en victime, vous savez, c’est indécent même, tant ça gêne les autres. Tout le monde est complice du déni qui fait taire les survivants. Pour sortir de leur agonie psychique, ils n’avaient qu’une seule idée en tête : redevenir comme les autres, réintégrer la condition humaine, reprendre leur dignité. Et voilà qu’en une seule phrase on les remet à leur place de victime ! On les repousse dans le destin qu’ils avaient réussi à combattre. On leur impose la carrière de victime qu’ils avaient évitée et que désormais on pourra à nouveau leur reprocher.

Et puis surtout, surtout, monsieur le président, avec votre projet vous demandez aux enseignants d’entraîner les enfants d’aujourd’hui dans le malheur des enfants juifs du passé. Bien sûr, il faut parler de la Shoah, mais pas n’importe comment. Il faut donner la parole à Anne Frank, à Primo Levi, aux historiens, aux philosophes, aux témoins, à ceux que le malheur a embarqués dans la rage de comprendre. Notre dignité, c’est de faire quelque chose de la blessure passée, ne pas nous y soumettre et surtout ne pas entraîner d’autres enfants dans la souffrance.


Boris Cyrulnik est neuropsychiatre.

Partager
cette page

Facebook Email WhatsApp SMS Twitter
Partager cette page avec des amis