David RAPPOPORT par Claude Bochuberg

Un hommage par Claude Bochurberg

On ne saurait oublier que dès le lendemain de l’entrée des troupes allemandes à Paris, le 15 juin 1940, un petit groupe d’hommes, sous l’égide de la Colonie scolaire de la rue Amelot, se mobilisait pour faire face à toutes les urgences.
Parmi eux, il faut citer Léo Glaeser, J. Jacoubovitch et trois mois plus tard, David Rapoport, qui eut en charge la responsabilité de cette œuvre.

La Colonie scolaire de la rue Amelot et les valeureux qui assurèrent son fonctionnement, ont inscrit une des plus belles pages de la Résistance juive durant la Shoah.
On oublie trop souvent qu’il fallait d’abord survivre. Et de la survie à la Résistance, la frontière était mince. Avec abnégation, intelligence et courage, David Rapoport fraya le chemin qui conduisait de l’une à l’autre. En plaçant résolument la Colonie scolaire hors de la tutelle des institutions légales, il entreprit, sous couvert du dispensaire « La Mère et l’enfant », une œuvre exemplaire d’assistance, de solidarité, de sauvetage et de résistance, qui honore la communauté humaine juive et non juive, face à la barbarie.

Tout cela nous le devons à David Rapoport et ses compagnons de la rue Amelot, lequel paya de sa vie son engagement à secourir ses frères et sœurs juifs, au plus fort de l’oppression et de la persécution vichysso-allemande. En effet, David Rapoport et son équipe, défiant les autorités de Vichy et de l’occupant nazi, sauvèrent de la misère morale et physique ou de la mort, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants juifs.
Comme de nombreux hommes de sa génération, originaires de Russie et de Pologne, David Rapoport se lança très tôt dans le combat, animé du seul désir de libérer les Juifs de toutes les oppressions, d’où qu’elles viennent.
Son action de résistance pendant la guerre fut le prolongement naturel de ce combat commencé des années plus tôt sur le sol russe.

L’homme est né le 1er octobre 1883 à Proskürow, en Ukraine, dans une famille observante. Très jeune il se fait remarquer par ses grandes dispositions intellectuelles. à l’âge de 17 ans, il est chargé de la propagande du Parti social-démocrate. Vers 1906, il quitte ses parents et rejoint la France où il trouve du travail, mais il n’y reste que très peu de temps puisque vers 1910 il se rend en Angleterre avec sa femme où naît son fils Daniel l’année suivante. Ce n’est qu’en 1912 où les Rapoport reviennent en France où ils se fixent à Bicêtre.
Jusqu’en juin 1914 il est employé dans une entreprise. Il décide alors de rendre visite seul à ses parents demeurés en Ukraine, avec l’intention de rester auprès d’eux pendant quelques semaines. Mais la déclaration de guerre le surprend et en conséquence il n’obtient pas l’autorisation de retourner en France. Il est mobilisé. Ce n’est qu’à la faveur de la révolution de 1917 qu’il retrouve ses parents et réussit à les faire passer en Pologne à Lodz.
Là, sur place, il déploie une intense activité pour aider les réfugiés juifs à émigrer, notamment en Amérique, car des vagues d’antisémitisme extrêmement violentes déferlent alors sur les régions de l’Est, dont les sinistres pogroms, menés par les partisans de Pletoura.

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Enfin en1921, il obtient un visa d’entrée en France et retrouve sa femme et son fils. Installé à Paris, il continue sa lutte commencée en Pologne, prenant en charge les émigrants à destination de l’Amérique. Parallèlement il participe de manière bénévole à d’autres œuvres juives, dont la Fédération des sociétés juives de France, laquelle lui confie des responsabilités pour ce qui concerne les services éducatifs, la formation professionnelle ainsi que l’accueil des immigrants venus de Pologne et des Pays baltes.
Outre ces activités caritatives, David Rapoport se lance dans le journalisme. Il devient le correspondant à Paris d’un grand journal juif de New York : le Jewish Herald. Et vers 1924, quand est dissoute l’organisation d’émigration juive, il fonde avec M. Hermann une agence de reportage photographique appelée Photo Rap qui fermera ses portes à la veille de la seconde guerre mondiale.

Dix ans plus tard, il participe avec deux amis à la création d’un quotidien yiddish : Pariser Haint dont le siège était 105 Faubourg du Temple, sans ralentir un instant son action auprès des immigrants juifs de Pologne et de Russie d’abord, d’Allemagne ensuite, surtout après l’avènement d’Hitler en 1933, et la montée du nazisme.
Puis survient la guerre. En janvier 1940, le fils Rapoport gagne la Bourboule où on lui propose un poste d’enseignant. Deux ans plus tard en 1942, il est arrêté et interné comme sujet britannique au camp de Saint-Denis, sans avoir été tenu véritablement au courant des activités de résistance de son père.
En vérité, Rapoport ne s’engagea pleinement au sein de la rue Amelot qu’après l’exode et son retour de la zone sud, en septembre 1940 lorsque Jacoubovitch lui proposa un poste rue Amelot afin de l’assister dans sa charge trop lourde de secrétaire général.

Aussi selon le témoignage de Jacoubovitch, cet homme qu’il considérait comme un « théoricien, un intellectuel, un tacticien même, allait s’avérer un homme d’action incomparable, un réalisateur étonnant ». Jacoubovitch et Rapoport se connaissaient depuis 1922, date à partir de laquelle, ils avaient appartenu tous deux au secrétariat de conférence mondiale juive de secours, dont Léo Motzkin était le président et I. Jeffroykin le secrétaire général. Depuis ils s’étaient rarement quittés et avaient collaboré ensemble dans différentes organisations et au journal précédemment cité.
En recoupant les témoignages et les différents entretiens que nous avons eu avec les rescapés de la rue Amelot du temps de leur vivant, on peut dire que cet homme exceptionnel est unanimement décrit comme un authentique Tsadik, un Juste. Son implication à sauver ses frères et sœurs juifs, avec un courage inouï, mérite en effet notre reconnaissance à tout jamais.
Malgré sa santé fragile, sa petite taille, cet homme fut la grandeur morale incarnée. Respect, générosité, cordialité, bienveillance, courage, etc. sont les mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche des témoins, même si, par ailleurs, il pouvait se montrer par trop autoritaire, ainsi qu’en témoigne Jacoubovitch.

Aux commandes de la rue Amelot, œuvre exemplaire d’assistance y compris auprès des internés juifs, avec ses 4 cantines, son vestiaire, son service juridique et financier, son fameux dispensaire : « La Mère et l’enfant », ses opérations de sauvetage, et de fabrication de faux papiers, etc. la lutte de Rapoport fut inimaginable, surhumaine. Après les rafles de mai 1941, David Rapoport intensifie les actions menées par la rue Amelot. Il sollicite les dons de la communauté. Il reçoit les persécutés, les écoute et les aide. Il obtient de la Croix Rouge qu’elle transmette des colis confectionnés par le Comité. Il dépanne financièrement les familles en détresse. Il fait prévenir à temps ces mêmes familles avant les rafles, afin qu’elles se mettent à l’abri. De concert avec l’OSE et l’ORT, il dirige des enfants dans des familles d’accueil non juives. Il envoie des assistantes sociales à Poitiers pour aider le rabbin élie Bloch à secourir les familles. Agissant en clandestin face à l’UGIF, il réussit ainsi à extraire des centaines de familles et d’enfants des griffes de la Gestapo et de ses collabos.

Dédaignant les menaces qui pesaient sur lui, il est allé jusqu’au bout de son combat. C’est ainsi que sur une dénonciation, il fut arrêté au 36 rue Amelot, le 1er juin 1943. Incarcéré au fort de Romainville où il fait l’admiration de tous , il est conduit à Drancy le 6 octobre 1943 et déporté le lendemain par le convoi 60 en direction d’Auschwitz, où il mourra d’épuisement le 2 juillet 1944.
Claude Bochurberg.