Esther RICHTER dite IKA (1887-1942)

Pédagogue réputée, elle travaille au sein du CISHO (réseau d’écoles juives laïques) qui met en œuvre des méthodes pédagogiques innovantes : considérer l’enfant comme une personne.

Tout en poursuivant son action de militante au parti social démocrate juif (Bund), elle reprend ses activités et crée des cours de yiddish dans les milieux laïques juifs (Cercle amical). Dans les locaux du Bund elle anime ce lieu de convivialité. Elle organise les départs clandestins, trouve des familles pour cacher les enfants en province… En danger, malgré un visa qui lui permet d’émigrer, elle refuse de quitter Paris, et sera arrêtée en mai 1941.Elle refuse de dénoncer les membres de l’organisation et son courage fera l’admiration de ses codétenus. Malade, épuisée, elle meurt au fort de Romainville, le 5 octobre 1942.

Au lendemain de la guerre, une colonie, à Corvol l’Orgueilleux (Nièvre) gérée par le Mouvement d’enfants du Bund (SKIF) puis par le Club laïque de l’enfance juive (CLEJ) porte son nom. On y perpétue sa méthode éducative.

Ika portait

Ika portait

Extrait de l’hommage à IKA
Par Dina Ryba
Notre Voix ( « Unzer Shtimè ») du 5 octobre 1945

Voici Ika, la merveilleuse activiste du Bund, dans les moments les plus difficiles de son existence à Paris, ne possédait aucune des qualités dont se réclament les « gezelshaftklekhè touèr » (animateurs d’associations) ; Elle n’était ni orateur, ni journaliste. Sa voix ne se faisait jamais entendre du haut des tribunes, son nom n’était pas à la une des journaux. Sa silhouette menue, sa tête couverte de cheveux gris un peu clairsemés, le visage prématurément ridé, tout son personnage respirait la modestie. à son contact, on ne sentait pas peser sur soi le poids des beaux parleurs. Elle demeurait bénévole, dans l’ombre. Et cependant, partout où elle se trouvait, dans sa maison ou dans un petit cercle d’individus, ou au local du mouvement (où elle fut durant les derniers mois de sa vie particulièrement présente), l’atmosphère était remplie de l’esprit d’Ika. Elle partageait avec ceux qui l’entouraient son énergie merveilleuse qui pénétrait vigoureusement les épidermes les plus épais. Ika était éducatrice de son état, elle avait été institutrice dans les écoles juives laïques en yiddish de Varsovie. Obligée par les circonstances de la vie à Paris de changer de métier, elle était restée éducatrice, pas seulement d’enfants, mais des gens en général.

(…) Apporter l’harmonie dans les rapports humains, de la joie, de la vraie et pure joie dans la vie des gens, c’était là l’aboutissement de son idéal socialiste. Il y a des gens chez qui la joie est puisée dans leur chance, dans leur destinée qui les a libérés des souffrances et des soucis. Ika n’appartenait pas à cette catégorie. Sa vie était dure et pleine de tracasseries. à la lumière de ses propres difficultés, elle avait compris l’importance de la joie au quotidien. Et si elle ne pouvait plus faire entrer la joie dans son propre foyer, elle l’apportait partout où elle décelait le moindre nuage de chagrin et de malheur.

Ce n’est donc pas un hasard si juste aux moments les plus difficiles de la vie juive à Paris, au cours des journées de Juin 1940, Ika s’est trouvée, fidèle et opiniâtre, au poste de directrice de la cantine populaire du Cercle amical. En ces jours tragiques où la panique et la terreur s’étalaient comme une avalanche sur tout le pays en engloutissant les valeurs humaines ; lorsque sauver sa propre vie paraissait plus important que de faire face à ses responsabilités et à ses devoirs d’homme ; lorsque même des médecins abandonnèrent des gens très malades – alors Ika restait à son poste parmi les « restes » désespérés du Paris yiddish.

A ce moment-là, Ika avait tout loisir de quitter Paris, tout comme elle eut plus tard l’occasion de quitter le pays avec un visa américain. Elle n’en fit rien. Un tel geste aurait été en contradiction complète avec son caractère, cela était contraire à son sens du devoir profondément enraciné, et aurait été en opposition avec le but de son existence, qui était de se mettre sans réserve à la disposition des affligés et des déshérités les plus démunis.

Ika resta donc à Paris pendant ces journées de juin, en étant bien consciente des dangers auxquels elle s’exposait. Elle n’entretenait aucune illusion sur « l’humanité » de l’occupant nazi. Au contraire, elle pressentait que la vague de répressions, qui ne devait s’abattre qu’un an après sur le pays, était imminente. Mais ce n’était pas le risque qu’elle courait qui la préoccupait.
Cette femme plutôt frêle faisait preuve d’un courage indéfectible et inépuisable. La seule institution qui n’a pas fermé ses portes en ce tragique 14 juin fut celle dont Ika était responsable.

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Du coup, la cantine du Cercle amical devint le centre du Paris yiddish. C’est là que se retrouvaient les écrivains et artistes juifs restés sur place. C’est là que se retrouvaient les étudiants juifs nécessiteux. Des ouvriers juifs venaient s’y reposer et discuter tranquillement, et des femmes juives, dont les maris étaient partis au Front comme engagés volontaires, venaient y trouver un foyer.
Tous ces gens étaient attirés par l’ordre exemplaire qu’Ika savait instaurer avec doigté et son sens de l’organisation, et surtout par le rayonnement de sa personne. Pour chacun de ces infortunés, Ika trouvait une bonne parole. Elle aidait les uns par des conseils, les autres en les consolant. Tous les regards convergeaient vers elle. Avec quel empressement les épouses lui montraient les lettres de leur mari ! Que de secrets personnels lui étaient confiés ! Non qu’elle l’eût cherché ou souhaité, mais parce que les gens en avaient besoin.

à regarder son sourire bienveillant, personne ne pouvait imaginer la quantité de soucis qui pesait sur cette femme menue, et quel poids elle portait sur ses minces épaules.
Et malgré tout, Ika prit part à ce moment à l’action politique clandestine du Bund à Paris. Elle fut membre de son premier comité clandestin. De concert avec les autres membres, elle a pris en charge la rédaction et l’impression des appels à la résistance du « Medem sotsyalistisher Farband », et s’est occupé de traiter les problèmes politiques et organisationnels du moment. Elle ne manquait nulle part, elle était partout. En priorité elle s’occupait des organisations d’aide d’existence semi-légales. Elle fut l’initiateur du Comité associatif de la rue Amelot, qui regroupait la Cercle amical (« Arbeter Ring ») avec l’ « Arbeter Heym » (Foyer populaire juif) et la Colonie scolaire. Jusqu’à son arrestation elle représentait le Cercle amical à ce comité.
Puis la Cantine populaire fut, avec Ika sa directrice en premier, en butte aux attaques des Allemands et de leurs valets, les petits juifs fascisants, qui voulaient placer les organisations juives sous le contrôle des nazis.
Il est impossible dans ce petit article, de rendre compte de l’esprit de résistance de Ika, inflexible et héroïque. Combien elle a déployé d’adresse et même de ruse féminine pour que notre Cantine ne souffre d’aucune influence fasciste.
Les « petits Juifs bruns » cherchaient à se débarrasser de cette Ika entêtée. L’occasion ne se fit pas longtemps attendre. à cause de l’aide considérable qui était apportée par la Cantine aux détenus des camps d’internement de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, les petits Juifs bruns mouchardèrent auprès du tristement célèbre officier allemand – Dannecker.

Notre cantine fut encerclée fin mai 1941 par la police et Ika fut arrêtée. Nous ne l’avons plus jamais revue.
Nous avons admiré son attitude extraordinaire au moment de son arrestation. Sur son comportement ultérieur, nous avons le témoignage de notre cher camarade Nathan Shakhnovski, qui fut pendant quelques jours en captivité en même temps qu’elle.
Les Allemands se doutaient bien que derrière cette association semi-légale s’abritait une organisation conspiratrice très ramifiée. Ils voulurent connaître les noms des dirigeants.
Mais ni les vexations, ni les tortures ne furent efficaces. La seule réponse d’Ika à toutes les questions était son sourire énigmatique, et aucun nom ne sortit de sa bouche.
Ika fut isolée en prison, puis au fort de Romainville. Derrière les murs épais de la forteresse, elle continua d’être ce qu’elle avait toujours été. Elle encourageait et consolait les malheureux, organisait l’entraide et était leur soutien moral.
Le 5 octobre 1942 nous parvint la nouvelle de sa mort tragique. Ce jour marque la disparition d’une grande socialiste, au sens moral colossal, incarné par un petit bout de bonne femme.