III. L’identité Juive

L’empreinte de l’identité juive
dans les couples mixtes

A quoi renvoie donc un couple mixte ?

Je vais commencer par donner quelques repères par rapport aux termes employés puis nous verrons la question des enfants, de la transmission,
avant d’aborder l’influence des liens familiaux sur la mixité.

Je terminerai mon propos en revenant sur la notion de risques.

 

 

 

L’historique des recherches : comment définir
l’identité juive laïque à travers les mariages mixtes ?

 

 

 

Il faut savoir que lorsque j’ai
démarré mes recherches, mon sujet concernait l’identité juive laïque qui
m’intriguait au plus haut point. Comment résister d’une part, aux forces vives
de l’intégration et d’autre part, au courant intégriste, encore plus vivace
aujourd’hui et qui tend à occuper le devant de la scène, ne nous laissant guère
de place, d’expression ?

Je voulais comprendre quelles forces d’ancrage, l’identité
juive laïque développe-t-elle au cœur de notre identité globale ; ce que
j’ai appelé le corpus identitaire. Il renvoie aussi bien à notre identité en
tant que femme ou homme, travaillant dans tel domaine, marié ou non etc. En
somme, l’ensemble des identités qui nous caractérisent et dans lesquelles notre
corps s’exprime à sa manière.

Mais autant, il nous est facile de nous définir comme femme,
de telle génération, de tel horizon social, autant nous rejoignons le rang des
carpes lorsque nous devons dire ce qu’est être juif, en marge de la dimension
religieuse.

Il m’a semblé alors qu’avec la notion de mariage mixte, nous
touchions au cœur même de l’identité juive française. Et effectivement, les
langues se sont déliées, y compris lorsque les personnes n’étaient pas
concernées directement par la mixité. Et j’ai pu recueillir des éléments me
permettant de mieux comprendre l’identité juive laïque.

 

Nous allons aujourd’hui parcourir le
chemin inverse en partant de ce que recouvre l’identité juive laïque avant
d’aller à la rencontre des couples mixtes contactés pendant cette recherche et
après.

 

 

Confrontation de la définition de l’identité juive
avec la sphère religieuse

 

 

Comme mes petits camarades, je me
réfère au critère d’identification des Juifs donné par la Fédération
internationale des Juifs laïcs et humanistes (Congrès de Bruxelles, 1988) : « Est
juive toute personne d’ascendance juive ou se déclarant juif(ve) qui
s’identifie avec l’Histoire, les valeurs éthiques, la civilisation, la
communauté et le destin du peuple juif »
; de manière à sortir du
registre de l’exclusion. Est juif celui qui se sent juif.

 

Nous nous éloignons là de la
définition halakhique stricte, donnée par les religieux où seule la mère juive
peut transmettre. Sans partager le rejet des couples mixtes véhiculé par les
instances religieuses, nous sommes marqués par certaines conceptions héritées
de la sphère religieuse. Ainsi, lorsque j’ai mené mon enquête auprès d’une
centaine de Juifs laïques (138) ou du moins non-pratiquants pour la plupart, j’avais posé comme question un tantinet
provocatrice: « quelqu’un qui n’a pas une mère juive, n’est pas
juif". 43% des répondants étaient d’accord avec cette affirmation. Cette
enquête ne révèle pas forcément toutes les tendances engagées dans la
communauté juive, néanmoins cela vous donne un ordre d’idées.

J’ai souvent retrouvé comme leitmotiv le fait que ce soit la
mère qui transmette le judaïsme. De nombreuses femmes en couple mixte, mais
aussi en dehors des familles mixtes proprement dites, se rattachaient à cette
règle.

 

On dit souvent
que la transmission matrilinéaire du judaïsme est liée au fait qu’on ne peut
être sûr que de la mère. Au temps des Romains, cette conception permettait de
protéger les femmes juives violentées, ainsi que leur progéniture. Mais
aujourd’hui, avec les avancées biologiques, les tests de paternité, ce discours
n’a plus de sens.

On connaît tous des enfants dont le
père est juif et la mère non, portant – du moins pour certains – un nom juif ; ce
qui constitue un marqueur identitaire important. Parmi ces enfants, certains
s’identifient au judaïsme mais ne font pas partie de la communauté, pour les
instances religieuses. Et cette façon de voir est partagée par des Juifs
non-religieux, qui ont conservé ce référent dans leur schéma de pensée, dans
leurs représentations.

 

On note toutefois une évolution pour
la synagogue libérale aux États-Unis en faveur de la bilinéarité. Moïse
n’était-il pas lui-même uni à une femme non-juive ? D’après Catherine Grandsard
(Psychologie et psychopathologie des métis judéo-chrétiens -Propositions
pour une approche spécifique
) : « un enfant né de mère juive
et de père non-juif n’est plus accepté comme Juif s’il n’a pas été élevé dans
le judaïsme et devra se convertir s’il souhaite intégrer une synagogue
libérale. A l’inverse, un enfant dont seul le père est juif est considéré comme
tel sans autre forme de procès dès lors qu’il est élevé dans le judaïsme. 
»
(p.30)

Les partisans de la réforme se retrouvent eux-mêmes aux prises
avec le courant traditionnaliste, opposé, voire même hostile à tout changement.

 

Mais peut-être est-il nécessaire que
les religieux soient si stricts, si fermés car que serait devenu le judaïsme,
sans ce noyau religieux, rigide ? Il se serait probablement dilué au cours des
siècles et des errances. Les Juifs auraient été assimilés comme l’ont été les
Aztèques par les Espagnols. Il nous faut peut-être à nous Juifs laïques, un
garde-fou, qui nous oblige à nous constituer, même si c’est en réaction à ce
que nous observons. Peut-être aussi gardons-nous dans le coin de notre
inconscient, l’idée que le judaïsme perdure quoi que nous fassions, puisque de
toutes manières, la structure religieuse demeure. Mais là, c’est juste une
piste de réflexion que je vous propose, qui nous éloigne un peu des couples
mixtes.

 

Même si le mouvement libéral
commence à se développer en France, quel sens cela peut-il prendre pour des
personnes évoluant en dehors de l’espace religieux ?

Peut-être, à terme, cela contribuera à façonner un autre
regard sur les enfants issus de couples mixtes, notamment lorsque la judéité
est portée par le père.

 

 

La question épineuse de la circoncision

 

Le cœur essentiel de la question des
couples mixtes demeure non pas le couple, mais la transmission aux enfants.

De nombreux couples optent pour un mariage civil. Donc ce
rite de passage n’entraîne pas nécessairement des discordes au sein du couple,
peut-être un peu plus avec les belles-familles. La question de la mixité se
pose avec un peu plus d’acuité à la naissance du 1er enfant. Quand
il s’agit d’une fille, certaines familles poussent un soupir de soulagement,
mais c’est une attitude que j’ai rencontrée aussi parmi des couples juifs,
profondément marqués par la Shoah, qui avaient peur d’inscrire une marque
indélébile et donc repérable sur le corps de leur garçon.

Dans l’enquête sociodémographique
qu’avait menée D. Bensimon, il apparaissait que 92% des couples homogames, y
compris dans les milieux non-religieux avaient circoncis leurs fils. Ce chiffre
tombait à 49 % dans les couples mixtes lorsque le père était juif et à 17%, si
c’était la mère qui était juive. On est donc là aux antipodes de la
transmission matrilinéaire.

 

Alors, il y a plusieurs facteurs
expliquant que la circoncision soit davantage transmise par les hommes.
Brièvement, il y a l’explication psychanalytique qui parle d’identification au
père : être comme le père circoncis ou ne pas l’être comme lui.

Autre explication plus sociologique : nous sommes dans une
société patriarcale. Le modèle de l’homme a tendance à l’emporter. De plus,
dans le judaïsme, en dehors de la transmission véhiculée par la femme, celle-ci
joue un rôle plus mineur. On en revient au rôle prépondérant du père qui influe
alors davantage pour ce qui concerne la circoncision.

 

Quoi qu’il en soit, la circoncision
est un bon indicateur de la transmission de l’identité juive car il fait signe
de l’alliance à Dieu initialement, au peuple juif par la suite. Ce rite n’est
pas neutre, d’autant plus qu’il renvoie pour certains douloureusement à la
Shoah. Il est surtout le signe d’une continuité entre les générations, même si
certains disent qu’ils agissent par hygiène. Ce n’est pas tant circoncire son
garçon qui est important, qu’on le fasse avec un mohal ou avec un chirurgien,
mais le fait ne pas le faire. S’écarter de cette tradition ancestrale, signifie
pour bon nombre de personnes que l’on s’éloigne de l’identité juive. Pour
autant, un enfant non circoncis de père juif peut s’identifier au judaïsme
ainsi que son père. L’absence de circoncision ne signifie pas nécessairement
rupture surtout lorsque l’enfant s’appelle David, Nathan ou Rébecca pour une
fille et de toutes manières sur le plan de l’identité, les chemins empruntés ne
forment pas une ligne droite.

 

 

Les différentes figures de la transmission

 

L’enjeu dans la mixité, c’est donc
essentiellement la notion de transmission. Trois cas de figure peuvent se
présenter :

 

         Dans un premier cas, l’ascendance
juive est écartée ou du moins, reléguée dans un coin de la mémoire ; ce que
craignent, dénoncent les personnes opposées à la mixité. Mais peut-on vraiment
couper avec ses origines ?

Le psychanalyste J.P. WINTER
écrivait à ce sujet, « quel que soit le type de transmission qui va
dominer dans le couple parental, la volonté de transmettre va s’inscrire
profondément au niveau du moi. Mais comme nous savons cliniquement, que nous ne
transmettons pas seulement ce que nous voulons transmettre ; et que nous
transmettons malgré nous, bien souvent des choses que nous croyons ne pas
vouloir transmettre, cette transmission inconsciente se fait au niveau
surmoïque. »
(1992)

En somme, les choses passent sans
que nous en ayons le contrôle et sans que nous soyons nécessairement conscients.
Il me semble alors que c’est aller un peu vite de dire que tel enfant est perdu
pour la communauté juive, car élevé en dehors de tout cadre judaïque.
L’inconscient joue parfois des tours surprenants. Il peut se produire, même à
40 ans, des réveils identitaires, au détour d’un événement, à l’occasion d’une
rencontre, d’un décès etc. Il arrive aussi que ce soit la génération suivante,
qui entame un retour vers les origines.

 

–   
Dans le 2ème cas, on rencontre des familles dont le conjoint juif induit
l’essentiel de la politique familiale. Les enfants baignent alors dans un
milieu judaïque, puisque parfois même le conjoint non-juif est imprégné. Dans
les études qui ont été menées sur les mariages mixtes, on ne parle pas beaucoup
des conjoints non-juifs, de leurs motivations, de leurs réactions. Je ne fais
pas exception à la règle et je m’en excuse. Je voudrais juste dire pour les
Non-Juifs présents dans la salle, qu’ils témoignent souvent d’une ouverture à
l’autre à tel point que parfois, il nous est difficile de savoir qu’ils ne
faisaient pas partie au départ, du groupe juif. C’est ce qu’on appelle
l’imprégnation. Alors bienvenue au club !

 

       Dernier cas de figure, l’enfant peut
être porteur d’une double identification, puisque il est issu d’une double
lignée. La judéité y est transmise sous une forme propre au couple mixte. Ce
qui me paraît être le cas le plus fréquent. Ce qu’il faut savoir aussi sur
cette question, c’est que l’identification au parent juif est également
fonction du sexe de l’enfant. Telle fillette s’identifiera à son papa juif, y
compris quand celui-ci ne revendique pas son identité juive. L’esprit de
contradiction, vous connaissez ? Tel autre enfant, imprégné dès sa tendre
enfance par le conjoint juif, n’aura de cesse de s’en écarter, car ne voulant
pas réparer les torts du parent ayant "commis" un mariage mixte.
J’utilise cette expression car j’ai rencontré des couples mixtes, dont le
conjoint juif formulait comme des regrets, non pas de s’être marié avec telle personne,
mais de n’avoir pas pu fonder un foyer juif. C’est pourquoi il tentait de
compenser par une abondance de données relatives au monde juif ; ce qui peut
accrocher ou faire fuir les enfants concernés. Tout dépend des relations qui
existent entre eux.

 

       Il arrive aussi, mais très rarement,
qu’une répartition s’opère entre les enfants. J’ai vu l’exemple d’une famille
avec un garçon circoncis et une fille baptisée. Mais ce cas de figure ne se
présente guère.

 

 

De l’influence des liens familiaux sur la mixité

 

Alors, comme vous voyez, il n’y a
pas de règles du jeu dans la transmission. C’est la nature des relations
construites au sein de la famille qui déterminent la transmission que ce soit
dans une famille homogame ou mixte.

J’irais même plus loin : la nature des relations
familiales va jouer un rôle non négligeable dans la construction ou non de
relations mixtes.

La famille originelle représente parfois un lieu
d’enfermement dont les personnes cherchent à s’émanciper ; la mixité
intervient alors comme la construction d’un univers différent échappant au
moule affectif initial.

 

Pour d’autres, aux liens familiaux
plus distendus, une distanciation que l’on pourrait qualifier de
« naturelle » s’opère tant avec la famille originelle qu’avec
l’identité juive incarnée par celle-ci. Ne demeure plus alors qu’un sentiment
d’identité juive diffus car non étayé. J’ai rencontré ainsi des personnes
investies plutôt dans le monde français, ne reniant pas leurs origines. Mais ne
parvenant pas à trouver du sens à leur identité juive, ou alors un sens
négatif, pour les petits-enfants de déportés, ces personnes avaient tendance à
se dégager du monde judaïque ; la mixité leur offrant souvent une porte de
sortie. Cette ouverture pouvait s’accompagner d’un sentiment de culpabilité car
soumis à la pression familiale originelle, ils avaient l’impression de rompre
la chaîne des générations.

Il faudrait pouvoir se sortir de cette culpabilisation mais
je n’ai aucun remède à apporter à ces maux à part quelques séances chez le psy
le plus proche…

 

Pour d’autres encore, le noyau
familial originel forme le dernier lien d’expression de l’identité juive ;
le membre juif aura alors tendance à revendiquer pour lui, et ses descendants
un sentiment d’identité juive et une volonté de continuer la chaîne
trans-générationnelle.

Parfois aussi, dans des familles ancrées sur l’ouverture aux
autres, la mixité ne représente qu’une étape logique dans ce processus.

Somme toute, l’insertion dans un couple mixte ne constitue
pas le mécanisme conduisant à une prise de distance apparente ou réelle avec
l’identité juive originelle. Elle résulte des processus engagés au sein de la
cellule familiale dans laquelle nous grandissons.

 

Nous sommes donc loin de l’équation
qu’on entend trop souvent : mixité = disparition de l’identité juive.

L’union mixte vient plutôt parachever un processus déjà
engagé, à savoir l’effritement possible de l’identité juive que l’inverse et
d’autre part, un couple mixte peut aussi être le moyen, le lieu de l’expression
de leur identité juive et de sa résurgence. Je me souviens d’une femme dans un
entretien me disant : « le fait d’épouser un goy, m’a
rendue plus juive
 ». Sa mixité l’a poussée à mettre l’accent sur sa
judéité. En fait, on défend d’autant plus ce qui est menacé.

Si l’on prend les Ashkénazes, pour les immigrés de la 1ère
génération et pour ceux de la seconde, l’urgence était de se faire accepter par
les autres Français, la judéité était comme une seconde peau. A la génération
suivante, le rapport s’inverse. Le fait d’être Français est considéré comme
acquis, l’identité juive peut devenir alors l’objet de la quête identitaire.

 

Au sein d’un couple mixte, le
sentiment d’identité juive, ou sentiment judéitaire peut resurgir lors de cette
quête de soi. C’est ce sentiment judéitaire qui est transmis aux générations
suivantes sous des formes différentes, bien entendu, puisqu’un enfant n’est
jamais la reproduction à l’identique de ses parents.

stenay.gif

L’enfant, nanti de deux histoires familiales plus ou moins
complexes, va réinventer ce qu’il reçoit, y compris les non-dits, ou ce qu’il
croit percevoir. Toute la difficulté va résider dans le fait de trouver un sens
à cet héritage.

A ceci, peut s’ajouter le sentiment d’être toujours
l’étranger de l’autre. Ni juif, ni non-juif… quelle identité adopter pour se
sentir plus en accord avec soi-même et avec l’extérieur ?

 

 

Risques imaginés, risques réels

 

Si un couple mixte constitue
effectivement un risque, il se situe surtout pour l’enfant, en-jeu.

Habituellement, on associe plutôt la
notion de risque avec celui encouru par la communauté juive, sa possible
dilution dans l’air ambiant.

Une des rares enquêtes sociologiques
menées sur les conséquences de la mixité au sein d’un groupe montre en fait que
les mariages mixtes peuvent drainer un gain de personnes et non une perte.

L’enquête citée par Anne
RABINOVITCH. (1992, p.35) « révèle l’existence, dans la communauté de
X, de vingt-huit unions exogamiques, se décomposant ainsi : dans sept cas, le
conjoint juif a rompu toute attache avec la communauté; dans un cas, le
conjoint non-juif s’est converti au judaïsme ; dans 20 autre cas, le
conjoint non-juif partage entièrement les fréquentations de son époux, se
considère comme membre de la communauté, les enfants recevant une éducation
juive. Le mariage exogamique a ici permis non seulement de ne pas affaiblir la
communauté, mais au contraire d’augmenter le nombre de ses membres
 ».

En fait, c’est en ne prenant pas en
compte les enfants de couples mixtes, que l’on risque d’aller vers un
amenuisement du groupe juif ; surtout au moment où la mixité devient de
moins en moins un phénomène minoritaire. A terme, et tous les milieux sont
concernés, il y aura de moins en moins de personnes dont les 2 parents sont juifs.

 

Autre risque imaginé, la fragilité
des couples mixtes. Je m’appuie à nouveau sur les données recueillies par D.
Bensimon. En 1978, le taux de divorcialité était plus élevé que celui des
couples homogames, tout en restant plus faible que celui enregistré dans la
population globale française. Aujourd’hui, il semble que le divorce traverse
plus de couples mixtes, parallèlement à l’augmentation des divorces dans la
société française. C’est là un signe de l’intégration des Juifs à la société
française. Mais dans ces divorces et au cours des entretiens que j’ai menés, il
ne semble pas que la mixité soit en cause.

 

Quant aux enfants, comme l’écrit
Catherine Grandsard, « rien ne permet d’affirmer que les enfants issus
de mariages mixtes rencontrent plus de problèmes dans la vie que la moyenne.
Mais rien non plus, ne permet d’affirmer qu’ils en rencontrent moins…
 »

Il s’agit de ne pas tomber dans la dialectique mixité comme
« source de souffrances » ou comme « richesse ».

Au travers des entretiens que j’ai
effectués, je n’ai pas eu l’impression de me retrouver face à des personnes en
danger, porteuses de quelque chose de spécifique, peut-être, de différent sans
doute. Mais j’éprouve aussi un sentiment de différence face à un Juif
américain. Est-ce que je dois le rejeter pour autant ?

Pour les familles mixtes, c’est
parfois plus le rejet dont elles sont victimes qui pose problème, que la
situation elle-même.

 

 

Conclusion

 

Pour sortir de l’écueil qui consiste
à penser pour ou contre les couples mixtes, il faut envisager deux choses et
c’est là-dessus que je conclurai :

 

En reprenant un des thèmes défendus
par le Centre
Communautaire laïc juif de Belgique, Je cite : « 
Accepter
de marier des couples mixtes, ce n’est pas contribuer à briser un tabou, ce
n’est pas favoriser leur augmentation, c’est seulement être cohérents avec
nous-mêmes et dire que celui qui veut être accueilli au sein de notre
communauté doit l’être, que nous devons vivre dans l’acceptation d’autrui et
non dans son rejet. C’est le refus qui crée l’assimilation, c’est le sentiment
de ne pas se trouver à sa place dans une communauté qui donne envie d’en
sortir. Il faut faire le pari de cette ouverture. C’est vrai personne ne peut
prévoir, on ne peut avoir de certitude sur les répercussions de cette aventure,
cependant nous sommes intimement convaincus que cette voie d’ouverture est la
bonne et qu’elle est la seule possible.
 »

L’intégration des enfants issus de
couples mixtes et désireux de s’inscrire comme les autres enfants juifs au sein
du groupe juif me paraît être un des enjeux les plus importants à défendre au
sein de la mouvance laïque.

 

Parallèlement à cela,
il faut donner l’envie de rester au sein du groupe juif. Mais pour se perpétuer
encore et toujours, le sentiment judéitaire a besoin de s’ancrer dans des
pratiques, quelles qu’elles soient, de manière à donner du corps à l’identité
juive. Sans épaisseur, sans pratiques collectives, l’identité juive peut
effectivement prendre la voie de la dilution ou du moins, être très lourde à
porter.

 

Il faudrait aussi
proposer un ou plusieurs projets collectifs car l’identité juive se nourrit de
collectif. On pourrait dire que la marque
de fabrique, le signe distinctif de l’identité juive, c’est justement
l’empreinte du collectif sur les destins individuels ; la Shoah en étant
l’exemple le plus frappant. Mais peut-être
avons-nous aussi quelque part
la nostalgie d’un certain mode de vie
communautaire que ce soit dans les shtettl, en Afrique du Nord ou ailleurs.

L’adhésion à
un groupe laïque, de quelque tendance que ce soit, répond entre autres choses,
au besoin de vivre collectivement son identité juive, de lui donner une
épaisseur. Car il n’y a rien de plus déséquilibrant que d’être porteur d’une
identité, l’identité juive, si elle ne s’inscrit dans aucun acte, aucun
comportement rythmant la vie. Si le passé traumatisant est la seule référence,
pourquoi des enfants qui hériteraient d’une telle identité auraient envie de
s’en emparer, de la perpétuer ?

           
On peut l’observer lors des fêtes juives, transformées en fêtes familiales. Là
s’exprime le besoin de vivre ensemble un moment de judaïsme, à travers par
exemple la dégustation de cuisine juive traditionnelle. Sans ces bouffées de
judaïsme vécues collectivement, l’identité qui est pourtant l’expression
individuelle par excellence, s’étoufferait.

 

           
Le problème qui se pose est donc de savoir quel contenu donner au fait d’être
Juif laïque. La réponse va dépendre des individus, et des associations.

Pour certains, il s’agit de laïciser les
fêtes juives, en transformant les rituels religieux traditionnels en rites
laïques, en faisant par exemple une lecture laïque de l’Histoire, au moment de
la Pâque juive.

Pour d’autres, comme ce fut le cas pour
notre association l’AACCE, par exemple, il va s’agir de vivre un grand moment
collectif en montant un colloque s’interrogeant sur l’identité juive laïque et
qui a pour effet immédiat, de conforter effectivement l’identité juive des
participants.

D’autres encore se centrent autour du
Yiddish, qui apparaît comme un vecteur structurant d’un certain mode de pensée,
d’une manière d’être.

 

           
Tous ces tâtonnements participent en fait à la construction d’une certaine
forme de laïcité juive qui tente de concilier attachement au judaïsme et à la
France.

C’est à chacun de venir puiser dans
les réservoirs judaïques qui s’offrent à lui et ce, en fonction de la résonance
que ces axes auront sur lui.

Il manque, il me semble, à la laïcité
juive française un fil conducteur, une structure qui permettrait aux Juifs,
pris dans les courants de l’intégration, de se sentir partie prenante d’une
démarche collective. Cette démarche collective pourrait être marquée par des
rites, qu’il nous faut encore trouver, pour mieux nous trouver nous-mêmes.
L’idéal serait peut-être de construire un projet collectif dans lequel chacun
pourrait développer sa propre identité juive.

On peut toujours rêver…

 

 

Je vous remercie.

 

 

Valérie STENAY