Les livres de mai 2019

On garde toujours pour les lecteurs qui ne l’ont pas encore lu

LES DERACINES

Catherine Bourdon

éd. Les Escales, 742 pages

Ne vous fiez pas au nombre de pages : ce bon gros roman se lit facilement : en effet, loin de toute prétention littéraire, C. Bourdon nous raconte une histoire mouvementée en plusieurs épisodes intéressants et très documentés :

La vie des juifs viennois à la veille de l’arrivée de l’Anschluss. Puis, les premières violences. La dislocation des familles, les parents cherchant à mettre leurs enfants à l’abri.

Le départ d’un jeune couple et de leur tout petit Frédéric. Wil et Almah n’ont pas d’autre choix que de participer à la fondation d’une « colonie » à Saint-Domingue, qui a le kibboutz pour modèle.

La vie à Sosia des « jeunes bâtisseurs », leurs joies, leur nostalgie, leur difficultés.

Le retour à la paix et la disparition programmée de la « colonie ».

Parfait pour les vacances, et donnant une bonne idée de la vie de ces migrants.

LA MORT DU KHAZAR  ROUGE

de Shlomo Sand

Seuil, 381 pages

Shlomo Sand, historien israélien, a suscité une très vive réaction contre sa théorie selon laquelle le « roman national » israélien est faux et forgé de toute pièce.

Grâce à ce roman policier, il a trouvé une moyen de se faire connaître du grand public : l’action se passe dans les milieux universitaires et oppose les tenants de l’histoire officielle à ceux qui osent les défier; c’est-à-dire ceux qui pensent que les juifs ne sont pas les seuls à faire valoir leurs droits sur ce petit bout de terre. Les victimes font toutes partie d’un même milieu considéré comme subversif. Il ne faut pas moins de deux commuissaires de police pour résoudre ces crimes qui s’étendent sur une longue durée…

Sand multiplie les considérations historiques justifiant son point de vue, mais le roman est plaisant à lire, en dépit de ses maladresses. On attend la suite!

LA FRANCE SANS LES JUIFS

Danny Trom

PUF, 155 pages

D’une certaine façon, on pourrait dire que l’auteur a tenté de conjurer le sort en écrivant cet essai. Comme si, dans son for intérieur, il espérait avoir tort!

Comment en est-on arrivé là? Plus de 20.000 juifs ont quitté la France ces dix dernières années. Les gouvernements successifs ont assuré la population juive de leur solidarité, tandis que la population arbo-musulmane était montrée du doigt. Celle-ci n’est cependant pas la seule « responsable » : la question israélo-palestinienne vient polluer les débats. Une partie de la gauche française n’a pas voulu voir les dangers que représente la défense du peuple palestinien, lorsqu’elle est dévoyée… Sans parler de l’affaiblssement des Etats-nations.

Même si l’on se refuse à aller aussi loin que Danny Trom, on ne peut que difficilement nier la réalité qui semble lui donner raison. A méditer

LES AVENTURES DE L’INFORTUNE MARRANE JUAN DE FIGUERAS

Jean-Pierre Gattégno

éd. de l’Antilope, 437 pages

Comme tout bon roman d’aventure, ce livre s’avère moins superficiel qu’il n’y paraît : c’est avant tout une vision historique de l’Espagne au temps de l’Inquisition, avec tout ce qu’elle a comporté de souffrances pour la population juive et musulman. C’est aussi l’apprentissage de la violence, de la duplicité et de l’immoralité pour un jeune marrane qui ignore tout de sa propre histoire. C’est enfin un réquisitoire contre la religion telle que les êtres humains la pratiquent.

Sans dévoiler l’histoire et  ses nombreux rebondissements, sachez seulement que le jeune sévillan Juanito, envoyé tout jeune dans un horrible collège pour y devenir prêtre, s’enfuit après y avoir appris la fourberie, le péché de chair, le vol et les violences de toute sorte. Ce viatique le rendra un peu moins naïf, mais il lui faudra encore bien des aventures et des désillusions avant de s’affirmer…

Bonne lecture à tous!

Classé sans suite

Claudio Magris 

Gallimard, 480 pages

Ce roman nous plonge dans le passé trouble de Trieste. Pendant le dernière guerre, la Risiera de Trieste, l’usine de décorticage du riz, a servi de camp de transit pour Auschwitz et de camp d’extermination, le seul d’Italie. A la libération, les installations ont été détruites à la hâte. Pendant longtemps cet épisode a été occulté et l’affaire « classé sans suite » .

Ce contexte, nourri par les longues recherches de Claudio Magris , intellectuel érudit de la mitteleuropa, sert de toile de fond aux récits croisés de deux personnages. L’un, qui s’appuie sur un homme qui a réellement existé, collectionne toutes les armes de guerre, dans le but de créer un musée de la guerre destiné à devenir un instrument de la paix. L’autre est une jeune femme engagée pour réaliser ce projet et qui s’interroge sur les stratégies à mettre en œuvre pour organiser le musée, après la mort mystérieuse de son créateur.

Le roman nous raconte la quête maniaque de cet homme obsédé par la construction de son musée et la collecte de tout ce qui peut faire arme . En parallèle, nous découvrons la vie de Luisa, née à Trieste d’une mère juive et d’un père noir américain venu libérer la ville. Sa grand-mère est morte à la Riseria, dans des conditions troubles. Le roman comporte de multiples digressions, dans le temps et l’espace.

Ce très beau roman très érudit s’adresse à un lecteur averti, prêt à se laisser porter par des récits qui s’entrecroisent.

LA NUIT RECOMMENCEE

Leopoldo Brizuela

éd. du Seuil, 284 pages

Pour le narrateur, la confrontation entre ses souvenirs d’enfant et la réalité est de l’ordre de la rédemption. Ce qu’il a vu lors des années de dictature en Argentine l’a marqué profondément, sans qu’il en perçoive le sens véritable. En s’obligeant à un retour sur son enfance, il doit faire face à deux difficultés essentielles : celle d’être capable ou pas de raconter, et celle de faire face à la réalité : son père, avec la complicité passive de sa mère, a dénoncé des voisins juifs soupçonnés de s’opposer au régime des généraux. Par pur antisémitisme. Ce n’est que progressiveement, laborieusement, qu’il re-découvre l’affreuse vérité… Ce n’est qu’en écrivant, en affrontant la vérité, qu’il pourrait se libérer? Pas si simple…

Roman passionnant, qui débute par une narration presque anodine, mais dont la tension se révèle peu à peu, dans toute sa dureté.

MONARQUES

Philippe Rahmy

Table Ronde, 198 pages

Ce livre inclassable et original revient sur un épisode tragique de la Seconde Guerre mondiale : l’origine de la Nuit de Cristal, dont le prétexte a été l’assassinat de Von Rath, attaché de l’ambassade allemande à Paris, par H. Grynszpan, en 1938..

Le narrateur, de nationalité suisse, est sans doute le double de l’auteur. 1983.  Faisant ses études à Paris, il doit retourner en Suisse au chevet de son père mourant. C’est là que se forme son projet d’écrire sur la vie de Herschel Grynszpan. Pour ce faire, il voyage en Europe et en Israël, et nous livre ses découvertes, mais aussi ses impressions de voyage : il découvre la vie israélienne et est sensible à l’atmosphère de ce pays qu’il se refuse à juger. Il y voit des correspondances avec la vie d’exilé de son père, né de père égyptien, et que sa mère a emmené en Europe dans sa fuite. Tels ces grands voyageurs que sont les monarques, obligés de se déplacer vers des cieux plus cléments.

La personnalité de l’auteur, qui transparaît au travers de ses réflexions sur la vie telle qu’elle est, c’est-à-dire violente, est très attachante, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de ce livre hors norme.

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