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26/11: Film “Et nous qui sommes nous”

Le 16, à 20h30 – Henri Minczeles

Au cours d’une réunion publique et amicale
Henri Minczeles

Ancien président du Centre Medem,
Docteur en Histoire, diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
Spécialiste de l’histoire du judaïsme de l’Europe orientale,
Prix de la Mémoire de la Shoah 1991,
Auteur de plusieurs ouvrages de référence sur Vilnius, le Bund, le Yiddishland.

nous présentera en « avant-première » son dernier ouvrage paru cet été :

« Une histoire des Juifs de Pologne,

Religion, culture, politique »

( Ed. La Découverte 2006 )

Henri MINCZELES y développe toute la saga des Juifs polonais dans cette région du monde durant un millénaire, au sein d’un milieu souvent antisémite. Après un riche passé tour à tour paisible ou tourmenté, ce sont 3 millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui sombrèrent dans l’horreur de la Shoah à partir de 1939 et furent anéantis par la folie meurtrière des nazis….Quant aux survivants, ils furent malmenés par le stalinisme. Aujourd’hui, il n’y aurait plus que 20 000 Juifs en Pologne.
A la fois très documenté et parfaitement accessible, cet ouvrage rappelle aux Juifs et aux non Juifs un passé « palpitant et tragique ».

Cette présentation sera précédée d’un court reportage réalisé en Pologne par Charles BAGES.

A la suite du débat animé par Jacques Dugowson. P.a.f.

Henri MINCZELES dédicacera son livre,
et pour clôturer cette réunion amicale, un verre de l’amitié sera proposé au public.


Le 3, à 20h30 – Gabizon / Tarnero

Mardi 3 octobre à 20h30

Rencontre-débat

La gauche, la droite et les Juifs de France

Le développement d’un antisémitisme « islamo-gauchiste » a-t-il provoqué un exode vers Israel ? Les Juifs de France ont-ils viré à droite ?

avec

galisson-2.pngCecilia GABIZON Reporter au Figaro, Co-auteur de « OPA sur les Juifs de France »( Grasset.2006 )

et

Jacques TARNERO Sociologue Auteur du film « Décryptage »(2003)

La parution de l’essai de C. Gabizon et de Johan Weisz avait provoqué une réaction vigoureuse de Jacques Tarnero. Quelques 6 mois plus tard nous invitons deux des protagonistes à en débattre, avec le recul et l’évolution des situations.

Débat animé par Jacques Dugowson.

PAF

La caféteria est ouverte dès 19h00

Le 13, à 20h30 – Elisabeth Schemla

Mercredi 13 septembre à 20h30

(Attention : au lieu de mardi !)

Le temps de l’« échange » est-il venu ?

Deux mois après le début de l’embrasement à Gaza et au Liban,où en est la situation au Proche-Orient ?

Avec

Elisabeth SCHEMLAE_Shemla-2.jpg

Elisabeth Schemla journaliste, Directrice du journal en ligne Proche-Orient. Info ; auteur de « Ton rêve est mon cauchemar : les six mois qui ont tué la paix » (Ed.Flammarion, 2001)

et

Pascal BONIFACE

Directeur de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques.Ex conseiller du Parti Socialiste en politique étrangère.Auteur de « Est-il permis de critiquer Israël ? (Ed. Robert Laffont)

Elisabeth SCHEMLA et Pascal BONIFACE cosignent en cette rentrée Halte aux feux (Ed.Flammarion Paris 2006)


Ils présenteront ce livre-débat, qui fait suite aux entretiens organisés en mai 2005 entre l’IRIS et Proche-orient.info pour confronter sans concessions leurs points de vue antagonistes sur le Proche-Orient, le terrorisme, l’antisémitisme, l’antisionisme, l’islamophobie, les media, Dieudonné, Alain Finkielkraut, les banlieues.

PAF Débat animé par Jacques Dugowson

La caféteria est ouverte dès 19h00

I. INTRODUCTION

 

Les couples mixtes

 

La question des mariages mixtes et des couples mixtes est souvent présentée comme le danger principal qui guette l'avenir du peuple juif. Certains dans la communauté juive l'ont comparés à la Shoah.

Je voudrais, quant à moi, présenter ici un point de vue plus nuancé ; rappeler que cette réalité, bien installée, peut aussi être une chance pour nous, si l'on en modifie l'approche.

Et tout d'abord il faut rappeler qu'il y a toujours eu des mariages mixtes dans le peuple juif, comme dans d'autres groupes, et cela depuis les temps les plus anciens.

 

Les temps bibliques

 

Il suffit de rappeler quelques personnages célèbres de la Bible :

Judah qui s'est marié à une Cananéenne, Joseph à une Egyptienne, Moïse le fondateur de la loi juive, à une Madianite, le Roi David à une Philistine, et Salomon à des centaines de femmes étrangères.

A cette époque, par son mariage avec un Israélite une femme étrangère joignait le clan, plus tard le peuple et la religion de son mari.

Comme le souligne le Pr Shaye Cohen de la Brown University aux USA (About, Who is a Jew), il n'est jamais arrivé en ces temps pré-exiliques que quelqu'un vienne à affirmer que ce type de mariage était nul et invalide, et que la femme étrangère devait « se convertir » au judaïsme, ou encore que le rejeton d'un tel mariage n'était pas Israélite et devait se convertir.

On avait donc affaire à une identité qui se transmettait par voie patrilinéaire. Ce fait était aussi accentué par la structure patriarcale de la société à l'époque.

 

L'époque talmudique

 

A l'époque talmudique les choses ont changé. En effet, c'est pendant l'occupation romaine que le Talmud énonce la loi matrilinéaire, qui définissait donc comme juif quelqu'un dont la mère était juive. Apparemment au 2ème siècle cette loi était déjà généralisée.

 

Le Talmud (Kiddushin 68b) compilé entre le 4ème et le 5ème siècle, fait dériver la matrilinéarité de la Torah elle-même, (Deuteronome 7,3-4) «  ta fille ne la donnes pas à son fils, et sa fille n'en fait pas l'épouse du tien. Car il détacherait ton fils de moi, et ils adoreraient des divinités étrangères... »

 

Ce texte qui est essentiellement un avertissement contre les mariages mixtes est aussi une confirmation de l'existence fréquente de ces mariages exogamiques.

Rappelons nous qu'au retour de l'exil de Babylone, Esdras a fait répudier les femmes étrangères des Juifs revenus d'exil,.

 

Pour quelle raison, la matrilinéarité a-t-elle été choisie à cette époque ?

 

Les opinions des spécialistes (non religieux) divergent : certains pensent que c'est une réponse à la fréquence des mariages mixtes, d'autres une façon d'intégrer les enfants issus des nombreux viols commis par les soldats romains : il aurait été inhumain de laisser les enfants de mère juive ayant grandi dans la communauté juive être considérés comme non-juifs. D'autres encore pensent que la matrilinéarité a été empruntée à la loi romaine.

 

On peut d'ailleurs ajouter que les Juifs, ayant la plupart du temps vécu dispersés, ont toujours été inscrits dans une dynamique historique du donnan- recevant, qui touche aussi bien les personnes que la culture elle-même, langues, littérature, musique, rites, philosophie et pensée. Le phénomène restait cependant limité tant que les Juifs vivaient sous forme de regroupements géographiques, par exemple dans les mellahs ou ghettos, et gérés, plus tard, par le système religieux traditionnel, la halakha, dans le cadre de l'organisation de la kehilah, dans une société d'appartenance fermée. C'est donc le système matrilinéaire qui a régné, tant que l'orthodoxie était la seule modalité du judaïsme.

 

Ce n'est plus le cas depuis l'Émancipation et depuis que la religion a cessé d'être le marqueur unique de l'identité juive. Encore bien plus de nos jours où elle a cessé d'être majoritaire dans la population juive qui vit à présent majoritairement dans des sociétés démocratiques et ouvertes. La Halakha a cessé d'être la norme et la loi pour l'ensemble des Juifs.

 

D'ailleurs dès que sont apparus après l'Émancipation, c'est-à-dire après l'ouverture de la société aux Juifs, des courants du judaïsme autres que l'orthodoxie, la question de la transmission patrilinéaire ou matrilinéaire s'est posée de nouveau. Cela a en effet a correspondu avec l'augmentation des mariages mixtes.

A présent, ceux-ci sont une réalité sociologique bien installée dans la judaïcité de ces pays et sociétés.

De nos jours

 

Je donne juste quelques chiffres du pourcentage de mariages mixtes chez les Juifs, provenant d'une source américaine :

Avant 1970  13%

Entre 1985-90  43%

Entre 1996-2001 7%

 

Le mariage mixte est donc très commun et ne représente plus forcément un désir de quitter l'identité juive.

Un chiffre américain encore : 33% des couples mixtes souhaitent élever les enfants comme juifs.

Cependant pour des raisons complexes, une grande partie de ceux qui s'y engagent, même s'ils sont laïques, (ou leurs parents) souhaitent une consécration religieuse à leur union.

 

 

Alors, que deviennent les enfants de ces couples, qu'en est-il de la transmission de la judéité, patrilinéarité, matrilinéarité ou les deux ? Comment accueille-t-on ces couples et leurs enfants et pourquoi les prive-t-on de l'accès à la culture juive ?

 

Une partie de la judaïcité religieuse américaine, consciente de cette réalité majeure, a tenté sérieusement de résoudre le problème :

Le 15 mars 1983, le mouvement juif réformé aux États-Unis, a voté une résolution reconnaissant comme juif, si les parents le souhaitent, l'enfant soit d'une mère juive, soit d'un père juif.

En octobre 1988, la seconde conférence biennale de la fédération internationale des Juifs laïques Humanistes, a voté une résolution sur le thème « qui est juif », proclamant que :

 

«  En réponse à la définition destructive donnée d'un Juif, proclamée à présent par quelques autorités orthodoxes, et au nom de l'expérience historique du peuple juif, nous, affirmons qu'un Juif est une personne d'ascendance juive, ou toute personne qui déclare lui-même ou elle-même être juive et qui s'identifie avec l'histoire, les valeurs éthiques, la culture , la civilisation, la communauté et le destin du peuple juif ».

 

Je mentionnerai encore la proposition faite par Yossi Beilin, alors Ministre de la justice Israélien, et depuis président du parti laïque Meretz, faite dans son ouvrage de 1998, My Brothers keeper (le gardien de mon frère), d'instituer en Israël, ce qu'il appelle une conversion laïque. Sa proposition, qui prend acte des très nombreux couples mixtes chez les immigrants de l'ex-URSS, immigrants laïques pour la plupart. Sa proposition veut rompre avec l'hypocrisie qui consiste lors des conversions religieuses à demander au candidat un engagement de pratiquer les mitsvot, alors qu'un Juif peut ou non le faire.

 

Reconnaître et accepter

Je voudrais souligner que l'une des questions à mon avis cruciales pour dans l'avenir du peuple est la manière dont se fera l'accueil des couples mixtes et de leurs enfants.

 

Et je pense que c'est cela prendre la dimension de la réalité. La réalité est qu'aujourd'hui la grande majorité des jeunes juifs poursuivent des études supérieures dans l'université  ou en tous cas sont engagés dans la vie sociale et professionnelle, en dehors d'un milieu strictement juif. Un jeune Juif ou une jeune Juive rencontrera bien plus souvent un ou une jeune non-juive et par conséquent il est bien plus probable qu'il voudra faire sa vie avec elle.

Or me semble-t-il aujourd'hui les autorités religieuses (les autres se taisent par peur ou par démission), ferment les yeux sur cette réalité -sauf pour se lamenter- et ne tentent de résoudre cette question que par la voie de la conversion. Or, chacun le reconnaît, les exigences actuelles pour les couples mixtes, formulés par le Consistoire, font de la conversion, si je puis dire, un chemin de croix.

Il me semble que c'est une approche historique inadaptée à la réalité.

Il me semble qu'elle ne protégera pas l'avenir du peuple juif.

Je crois que l'on peut augmenter la population juive en reconnaissant l'existence de ces couples et en les acceptant, s'ils veulent s'intégrer au peuple juif, eux et leurs enfants.

 

Donc, patrilinéaire ou matrilinéaire, je crois qu'il faut reconnaître et accepter ceux qui ont des motivations profondes pour rejoindre le peuple juif. Je pense que les autorités religieuses doivent les accepter comme tels. Faute de quoi il y aura et il restera toujours un petit groupe de juif très religieux, une sorte de Sheerit Hapleta (un reste rescapé), mais nous aurons perdu le pari de l'avenir du peuple juif.

 

En conclusion

 

Alors qu'aujourd'hui l'avenir démographique du peuple juif est menacé, par l'attitude rigide des rabbinats, nous pouvons lui réserver un avenir démographique beaucoup plus ouvert, en acceptant ceux qui souhaitent rejoindre le peuple juif, son destin, son histoire, sa culture, bref se joindre à l'identité juive collective, dans sa diversité.

Il est donc de notre devoir de faire pression sur les autorités rabbiniques pour qu'enfin, elles acceptent cette réalité des mariages mixtes et reconnaissent comme juifs, si les parents le souhaitent, les enfants de ces couples, car de nombreux Juifs non-religieux ou laïques, engagés dans des couples mixtes reconnaissent encore une sorte de pouvoir légitimant aux « autorités religieuses » juives, alors même que celles-ci font tout pour leur refuser l'entrée.

 

 

 

Izio Rosenman

IV. Sous haute surveillance

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Cette après-midi de réflexion qui se
déroule au Centre Medem – Arbeter ring, ne pouvait se dérouler nulle part
ailleurs!

Si je l’affirme de façon si
péremptoire mais cependant ironique, c’est que comme Izio Rosenman, nous l’a rappelé au cours des réunions préparatoires à cette journée : Medem
était un converti !

 

 

Ses parents « décidèrent
qu’ayant assez souffert de leur appartenance au judaïsme, ils voulaient
épargner ce fardeau à leur plus jeune fils. Ils (le) baptisèrent donc dans une
église orthodoxe.
 » Son père avait décidé, quant à lui « d’adopter
la religion luthérienne 
» car « des mesures
discriminatoires se préparaient contre les fonctionnaires juifs. 
» (1)

 

L’INTITULE DE CETTE JOURNEE

 

Avant d’aborder le vif du sujet,
quelques remarques à propos de l’intitulé de cette intervention.

Le vécu des couples concernés :
tendance au divorce ?

C’est sous ce titre que le sujet me
fut proposé quand je fus invitée à rejoindre ce groupe.

Le questionnement proposé, je le
détournai, je le modifiai pour proposer l’intitulé suivant : la
transmission sous haute surveillance : les couples mixtes, un cas
particulier ?

Malheureusement, le point
d’interrogation a disparu, il est passé à la trappe de l’inconscient, alors
qu’il change le sens de la proposition.

Ces transformations, ces coquilles,
ces oublis, ces refoulements sont à lire comme des indices du malaise, de
l’angoisse qui nous saisissent parfois, malgré nous et très souvent sans qu’on
veuille ou qu’on puisse le reconnaître ; dès que l’on quitte le territoire
du semblable, du même, de la mêmeté.

 

A propos du titre, toujours, vous
avez échappé à celui-ci, encore plus radical :

Mariages mixtes, mariages
suspects ? 

 

Suspects de quoi, ma foi ? Suspects
de ne pas transmettre l’identité juive qui ne constitue dans le cas des
mariages mixtes que la moitié d’un héritage.

Suspects de brader l’héritage de
l’identité juive ; d’où l’idée d’une transmission à haut risque,
susceptible d’être placée sous la haute surveillance des divers gardiens de
l’identité juive.

On mentionnera ici que l’évolution
des mœurs (en Ile de France, un mariage sur deux se termine par un divorce)
devrait permettre d’atténuer la dimension parfois traumatique qu’engendre la
question des mariages mixtes. Surtout si l’on veut bien se rappeler,
qu’existent actuellement des contrats de mariage incluant d’emblée le contrat
de « désunion » !

 

EVOLUTION DU QUESTIONNEMENT

 

Autre signe de l’évolution du
questionnement à propos des couples mixtes 

Albert Memmi traita ce thème, en
1955, dans son roman intitulé Agar, œuvre très pessimiste à propos
des unions mixtes.
(2)

A l’époque, l’ouvrage ne rencontra
que peu d’écho. Sa notoriété alla en s’amplifiant lors de la réédition en 1984,
comme augmentèrent le nombre des critiques dites négatives. Albert Memmi en
vint à penser qu’il s’agissait de son livre le moins bien compris car
appréhendé comme un anathème sur tous les mariages mixtes.

Mais en fait, ses héros loin
d’appartenir au passé… sont devenus très modernes
 
(3)

Et Albert Memmi de conclure dans sa
préface : Hélas, on est toujours deux, comme on est toujours
double.
 
(4)

A ce constat en forme de regret,
ajoutons l’énoncé suivant, toujours en suivant Albert Memmi : ”Agar” est
un essai de dévoilement des conditions négatives de la double réussite
souhaitable : celle des mariages mixtes et celle de la fraternité entre
les peuples.
(5)

 

Un constat, un souhait auxquels
j’ajoute le postulat suivant :

Toute forme de couple, toute forme
d’union est une union mixte, quels que soient la couleur de peau, le sexe, le
genre sexuel, les origines : sociale, culturelle ou religieuse des
protagonistes.
(6)

Ceci, fondamentalement parce qu’il
s’agit de l’alliance reconnue socialement ou pas, de deux personnes, de deux
individus, de deux êtres différents.

 

QUELQUES CITATIONS

 

Pour continuer notre cheminement,
quelques citations dont je ne vous révèlerai le nom de l’auteur, qu’après-coup.

 

Première citation : Je
suis d’origine juive, mes parents étaient juifs, je suis moi-même resté juif.
 
(7)

Deuxième citation : Bien
que les formes dans lesquelles les vieux Juifs se sentaient à l’aise ne nous
offrent plus d’abri, quelque chose d’essentiel, la substance même de ce judaïsme
si plein de sens et de joie de vivre, n’abandonnera pas notre foyer.
 
(8)

Troisième citation : J’ai la
claire conscience d’une identité intérieure, le mystère d’une même construction
psychique. 
(9)

Quatrième citation : A la
question : « Mais qu’est-ce qui est encore juif chez toi, alors que
tu as renoncé à ce patrimoine… », il répondait : « Encore
beaucoup de choses et probablement l’essentiel. »
(10)

 

Quatre déclarations sans équivoque
d’un très grand penseur, Juif laïque, ayant banni de son foyer, tout signe de
religiosité et ceci de façon parfois très véhémente ; tout en gardant
précieusement la Bible offerte par son père. Qui plus est, il n’était pas
adepte du sionisme : un vrai Bundiste, en quelque sorte, j’ai nommé :
Sigmund Freud.

Comme vous le savez, Freud connut
les persécutions nazies et mourut avant que la Shoah fut mise en œuvre dans les
camps de la mort.

 

L’OMBRE PORTEE DE LA SHOAH

 

Si j’évoque ici la Shoah, c’est
parce que son ombre portée, joue un rôle prépondérant dans cette haute surveillance
que j’évoque à propos de la transmission de la judéité ou du judaïsme.

Aux questions : Qui
suis-je ? Que faire de mes origines ? , peuvent s’ajouter culpabilité
et angoisse engendrées par la transmission de l’histoire de la Shoah.

Mariages mixtes, transmission de
l’apport de chacun des deux partenaires, certes.

Encore faut-il ne point oublier un
facteur important : la transmission peut être consciente et militante mais
elle est toujours quoi qu’on fasse, aussi d’ordre inconscient.

 

J’ai choisi un exemple,
volontairement hors du champ des préoccupations de cette après-midi de
réflexion. Je l’emprunte à la psychanalyste C. Mathelin.

C’est l’histoire de quatre sœurs
auxquelles leur mère n’avait transmis aucune recette de cuisine, alors qu’elle
était plus qu’experte en ce domaine. L’âge venant, devant l’insistance de ses
filles, la mère se décida enfin à transmettre ses fameux secrets culinaires. Ce
fut peu de temps avant son décès.

Or, après lecture de ce
quasi-testament gastronomique, oh ! horreur, oh ! fureur, les quatre
sœurs s’aperçurent que soit les recettes étaient incomplètes, soit les dosages
étaient erronés.

Morale : on ne transmet que ce
que l’on veut bien transmettre et même dans ce cas de figure, l’inconscient
vous attend au détour du chemin !

Revenons à notre sujet avec le récit
de ma rencontre avec la personne dont j’ai intitulé l’histoire 
« Cahier de retraite »

 

 

CAHIER DE RETRAITE.

 

Monique hurlait à pleins poumons à
l’adresse de sœur Marguerite :

« Vous pouvez me dire ce que
vous voulez, vous pouvez me faire ce que vous voulez, de toutes les façons, je
m’en fous : JE SUIS JUIVE ! »

De père juif converti au
catholicisme, de mère non juive, à la veille de sa confirmation solennelle,
Monique n’en démordait pas. Monique l’écrivait en toutes lettres dans le cahier
de retraite où elle se devait de consigner ses pensées, au cours de ce temps de
retrait, à la veille de cet évènement majeur dans une éducation catholique
qu’est la communion solennelle.

Il faudra un temps très long
d’analyse avant que Monique ne réalise et encore parce que son analyste le lui
fit remarquer : au lieu d’écrire cahier de retraite, c’est cahier de
RETRAITRE qu’elle avait inscrit.

Si son père fut traître à ses
origines, à sa religion, elle, ne le serait pas à sa judéité.

Elle l’avait affirmé haut et fort,
elle continue à le faire à ce jour, où ses paroles si fortes s’accompagnent
de :

« Je n’ai pas
besoin de voir Auschwitz, je le porte en moi. »

ou encore

« Oui, aux
mariages mixtes ! Cela permet de maintenir les religions à l’écart, de
laïciser le lien social, la société. »

 

Elle rejoint ainsi Amin Maalouf qui
dans son très bel ouvrage intitulé : Les identités meurtrières,
écrit : Je ne rêve pas d’un monde où la religion n’aurait plus de
place, mais d’un monde où le besoin de spiritualité serait dissocié du besoin
d’appartenance. D’un monde où l’homme, tout en demeurant attaché à des
croyances, à un culte, à des valeurs morales éventuellement inspirées d’un
Livre saint, ne ressentirait plus le besoin de s’enrôler dans la cohorte de ses
coreligionnaires. D’un monde où la religion ne servirait plus de ciment à des
ethnies en guerre. Séparer l’Eglise de l’Etat ne suffit plus ; tout
aussi important serait de séparer le religieux de l’identitaire. 
»
(11) ( c’est moi qui souligne )

 

De paroles fortes en paroles fortes
pour tenter de vous montrer que la transmission d’une identité ne dépend pas
uniquement d’un savoir volontairement transmis.

Le père de Monique fut un très grand
conteur mais sur sa judéité, son judaïsme, le temps de la déportation, ce fut
le mutisme le plus total.

 

Une transmission en silence (12) alors, certes mais pas uniquement.
Car le silence de l’un ouvrit la porte aux questions réelles ou implicites de
l’enfant et c’est le conjoint qui répondit et fit œuvre de transmission
effective. C’est ce que j’appelle le carrefour des transmissions.

Questions – silences – transmissions
qui permettent aujourd’hui à Monique d’affirmer :

« J’aurai été juive pour les
nazis, je ne suis pas juive pour les Juifs. »

 

C’est là notre point nodal, pour
nous Juifs laïques de gauche qui le plus souvent ont parfaitement intégré les
critères religieux de transmission de l’identité juive.

Poursuivons avec Kateb Yacine dont
les paroles suivantes me semblent parfaitement illustrer le récit de Marlène.

… mais aucun fil n’est jamais rompu
pour qui recherche ses origines.
(13)

 

           
Une
lettre de l’alphabet redoublée dans son nom,

           
Un
nom et un lieu d’origine supposé que l’on met en correspondance,

           
Des
amitiés particulièrement choisies,

           
Des
comportements que l’on vous prête,

 

suffisent parfois à ancrer une
conviction profonde et sincère qui n’appelle aucune preuve
supplémentaire ; suffisent même à assurer une transmission que l’on aurait
pariée comme étant hautement improbable.

A l’université, Marlène s’était vite
retrouvée, entourée d’amis juifs. Par la suite, dans le cadre de sa vie
professionnelle, on la plaisantait souvent, en lui disant : « Tu
es la seule goy que l’on connaissance qui très vite, au cours d’une
négociation demande : alors, où est le chèque ? Vous vous engagez ou
pas ? 
» .

On lui prêtait, également les mêmes
compétences commerciales que sa tante. Nul doute, Marlène s’était engagée sur
la voie de la revendication de ses origines juives. Nul doute, elle en avait
les caractéristiques puisque les arguments qui pourraient apparaître comme
étant de nature antisémite, se trouvaient être transformés en leur
contraire !

Chez les siens, le silence fut d’une
épaisseur radicale, incluant la période de la seconde guerre mondiale. Cependant,
une preuve ultime, à rebours en quelque sorte, se fit jour.

Son fils cadet avait décidé et
venait d’accomplir deux ans d’étude au Talmud Torah et voulait devenir….
psychanalyste !

A nouveau, silence dans la transmission
et cependant le message, même clandestin, finit par passer.

Continuons avec une mère et sa
fille.

 

 

CUISINE MIXTE.

 

 

Ce jour là, le jour de l’entretien,
j’entrai dans la cuisine de cette maison où je n’avais connu que des jours de
fête. La première chose qui me frappa : deux alphabets côte à côte,
l’alphabet hébraïque et « l’autre » alphabet.

Étaient-ils là depuis longtemps,
depuis toujours, je ne pensais pas à poser la question ? Je me bornai à
constater, en mon for intérieur, que dès/dans la cuisine, les choses étaient
inscrites.

J’ai eu la chance de pouvoir
interviewer séparément, la mère et une des filles de la fratrie de cette union
mixte. Par ailleurs, je ne suis pas sans connaître la sensibilité et certains
des avis du père.

Après l’auto questionnement angoissé
et critique de la mère, à propos de la transmission qu’elle avait effectué de
façon consciente et militante, j’étais très curieuse d’entendre l’avis de la
fille sur ce qu’elle avait retenu de l’apport de ses parents très engagés dans
leur volonté respective de transmission et d’éducation.

C’est avec plaisir que je constatai,
l’épanouissement de la personnalité, de la pensée de cette jeune femme.

Pleine conscience des apports de
chacun de ses parents, des problèmes que cela leur avait posés, des
préoccupations qu’elle-même ne manquerait pas de rencontrer dans le couple
qu’elle formait actuellement avec son compagnon (couple que j’affublerais du
qualificatif « d’un peu moins mixte » que celui de ses parents.) Ceci
pour reprendre la thématique de la constante recherche du même, toujours
insuffisante ou comme la nommait Freud, a contrario : le
narcissisme de la petite différence.

 

Cette jeune femme avait elle-même
exprimé cette incapacité de tout un chacun à supporter les écarts, les
différences entre les êtres, entre leurs milieux respectifs comme s’ils étaient
toujours à mille lieux les uns des autres. Tout en revendiquant que leurs
dissemblances soient respectées.

Elle semblait très satisfaite de ce
que son nom et son physique lui donnaient la possibilité d’avoir une identité
cachée, lui permettant d’avoir une forme de maîtrise sur d’éventuels propos
antisémites qui seraient prononcés devant elle.

Dans le même temps, elle regrettait
de ne pas posséder de signes manifestes, visibles de sa judéité quand elle se
trouvait au sein d’un groupe juif.

Elle « reprochait » ( ces
guillemets sont les siens) à ses parents de lui avoir transmis une identité
juive « illégitime » (c’est elle-même qui employa ce qualificatif)
alors qu’elle en attendait également une transmission des rituels.

Elle m’a semblé hésitante sur ses
propres capacités à transmettre – mais qui ne l’est pas dans ce domaine, la
brillante étudiante qu’elle est, démontrant bien ainsi que savoir et
transmission ne sont nullement et forcément corrélés positivement.

 

L’éducation qu’elle a reçue de ses
deux parents nous indiquera une nouvelle fois que le porteur d’une identité
n’est pas forcément le plus à même de la transmettre.

En effet, c’est parfois l’autre, le
conjoint non juif qui assure la transmission d’une culture ou d’une histoire
trop « lourde » à porter et surtout à transmettre.

Dans la rencontre que j’ai
nommée Cuisine mixte , c’est le père qui assura la
transmission du « premier testament » selon l’heureuse formule de la
mère juive de cette union mixte !

 

 

DESARRIMAGE DE L’IDENTITE.

 

Ne me dites surtout pas qu’être issu
d’un couple mixte est une chance !

Telle fut la tonalité générale de
notre premier entretien ; les propos de N.M allant jusqu’à parler de
troubles de la ressemblance, qu’il a pu éprouver dans la recherche de son
reflet dans le regard de sa mère, dans le regard de son père, puis dans celui
renvoyé par autrui.

Je vais reproduire les paroles qu’il
m’a adressées pour clore momentanément le débat entre nous.

J’ai essayé et réessayé d’écrire des
amorces de texte sur le métissage. Que ce soit sous une forme autobiographique
ou sous une forme distanciée, drôle… je n’y arrive pas vraiment, car en fait,
je ne peux parler que de moi… et cela m’est plutôt difficile. Nos échanges au cours
des dernières semaines m’ont obligé à me poser des questions que je ne m’étais
jamais posées. Je n’ai pas assez de distance aujourd’hui pour en rire ou en
pleurer… mais je sais au plus intime de mon être que c’est une question pivot
de mon existence. Je sais que cette mixité m’a et me pousse continuellement
vers d’autres mixités, vers la pluralité, qu’elle m’incite à être multiple pour
ne former qu’un, à me disperser pour me retrouver, à rechercher toujours dans
différentes cultures, des fragments de moi… rêvés ou réels, fantasmés ou
fantasques.

La mixité offre finalement une zone
d’ombre qui permet bien des révélations de soi, au gré des remarques ou des
questions posées. Ce ne sont pas des mensonges, ce sont des interprétations.
 

Je me permettrai juste d’ajouter,
qu’il convient de bien entendre les interprétations dont il s’agit dans ce
texte, dans le sens musical du terme qui toujours peut rejoindre celui des sens
de la langue.

Je ne
pense pas que vous serez étonné d’apprendre que lorsque sur l’écran de mon
portable, s’impriment les mots : Identité cachée, je sais que
c’est lui qui m’appelle.

.

Donc, il y
a transmission en silence, il y a transmission croisée, consciente et
inconsciente, il y a travail d’éducation chez les couples mixtes
« comme » chez les autres couples. Les couples mixtes ne forment
qu’un groupe particulier parmi les possibles configurations empruntées par la
transmission.

Néanmoins,
nous ne pouvons nous empêcher, moi la première, de souhaiter que nos enfants
s’unissent avec un autre que l’on puisse reconnaître d’emblée et qu’il nous
reconnaisse aussi de façon identique, immédiatement.

Ainsi,
notre questionnement de départ à propos de la perte possible de l’identité
juive dans les unions mixtes, pourrait n’être qu’une énième répétition de la
question œdipienne.

Question œdipienne
reprenant une forme ancienne bien connue des enfants : De ton papa ou
de ta maman, qui préfères-tu ?
 

Question à
laquelle, le plus souvent les enfants se gardent de répondre, sachant très bien
qu’un interdit s’y cache.

 

 

DEUX
REMARQUES POUR TERMINER

 

La
première : je ne partage pas l’avis exprimé par Edgar Morin et Elie
Barnavie, dans l’avant dernier numéro de la revue « Diasporiques »

 Les
mariages mixtes tendent incontestablement (mais lentement) à dissoudre l’identité
juive. Mais ce processus n’est pas aussi linéaire qu’on pourrait le
croire. 
(E. Morin).

 Les
Juifs dépérissent par mariages exogamiques et par cette inévitable perte de
mémoire.
  (E. Barnavie)
(14)

 

Précisons
qu’il ne s’agit pas là du sujet principal discuté dans cette interview. On peut
cependant relever la composante d’inexorable fatalité qui colore leurs propos
respectifs.

J’aurais
plutôt tendance à pointer le fait que les mariages mixtes soient l’indicateur
d’un temps de paix où une politique volontariste concernant la politique
culturelle d’un peuple a le plus de chance de porter ses fruits.

La
dernière : je n’ai pas beaucoup entendu prononcé le mot AMOUR cet
après-midi. Serait-il devenu obscène, imprononçable, inavouable, car on ne
maîtrise pas sa durée, car on désespère de ne pouvoir s’y assurer d’une
garantie ?

 

 

Toujours
est-il qu’il me paraît opportun, à propos de mixité, de citer Madame de
Staël : Je ne trouve en moi que vous
(15)

 

 

Rosette TAMA

 

 

Notes 

(1) Medem V., Ma Vie,
Honoré Champion Editeur, Paris, 1999, p.23, 22, 21.

(2)   
Memmi A., Agar, Editions Correa Buchet / Castel , 1955.

(3)   
Memmi. A., Agar, Editions Gallimard, Paris, 1984, p. 20.

(4)   
Ibid, p. 20.

(5)   
Ibid, p.16.

(6)   
Ce
point de vue est développé par J. Hassoun in Les contrebandiers de la mémoire. Syros,
Paris, 1994.

(7)   
Freud
S., Sigmund Freud présenté par lui-même.  Gallimard, Paris, 1984, p.16.

(8)   
Freud
S., Correspondance 1873-1939, Gallimard, Paris, 1991, p. 32.

(9)   
Ibid,
p.398.

(10)
Freud
S., Totem et Tabou. , PBP Payot, Paris, 1992, p. 67.

(11)
Maalouf
A., Editions Grasset & Fasquelle, 1998, p.110.

(12)
Menès M.,
Revue du champ lacanien : la parenté, les voies de la transmission. Article à paraître en octobre 2006.

(13)
Yacine
K., Nedjma. , Editions du Seuil, 1956, p. 137

(14)
Diasporiques,
numéro 37, mars 2006, p.13.

(15)
Voir
lettre de Mme de Staël, à l’époque (1778) Melle Necker, relevée par Thomas. C.
in Souffrir , Editions Payot & Rivages, Paris, 2006, p.
28.

 

 

Bibliographie 

Freud. S., Correspondance
1873-1939, Gallimard, Paris, 1991.

Freud., S., Sigmund Freud présenté
par lui-même
, Gallimard, Paris, 1991.

Freud. S. , Totem et tabou,
PBP Payot, Paris, 1992.

Hassoun. J., Les contrebandiers de
la mémoire.
, Syros, Paris, 1993.

Maalouf. , A., Les identités
meurtrières
, Editions Grasset & Fasquelle. 1998.

Medem. , V., Ma Vie, Honoré
Champion Éditeur, Paris, 1999.

Memmi. , A., Agar. , Éditions
Correa Buchet / Chastel, Paris, 1955.

Thomas. , C., Souffrir. ,
Editions Payot & Rivages.(Poche), Paris, 2006.

Revues :

Diasporiques, n° 37, mars 2006.

Revue du champ lacanien. Menès, M., : La parenté,
les voies de la transmission. A paraître en octobre 2006.

III. L’identité Juive

L’empreinte de l’identité juive
dans les couples mixtes

A quoi renvoie donc un couple mixte ?

Je vais commencer par donner quelques repères par rapport aux termes employés puis nous verrons la question des enfants, de la transmission,
avant d’aborder l’influence des liens familiaux sur la mixité.

Je terminerai mon propos en revenant sur la notion de risques.

 

 

 

L’historique des recherches : comment définir
l’identité juive laïque à travers les mariages mixtes ?

 

 

 

Il faut savoir que lorsque j’ai
démarré mes recherches, mon sujet concernait l’identité juive laïque qui
m’intriguait au plus haut point. Comment résister d’une part, aux forces vives
de l’intégration et d’autre part, au courant intégriste, encore plus vivace
aujourd’hui et qui tend à occuper le devant de la scène, ne nous laissant guère
de place, d’expression ?

Je voulais comprendre quelles forces d’ancrage, l’identité
juive laïque développe-t-elle au cœur de notre identité globale ; ce que
j’ai appelé le corpus identitaire. Il renvoie aussi bien à notre identité en
tant que femme ou homme, travaillant dans tel domaine, marié ou non etc. En
somme, l’ensemble des identités qui nous caractérisent et dans lesquelles notre
corps s’exprime à sa manière.

Mais autant, il nous est facile de nous définir comme femme,
de telle génération, de tel horizon social, autant nous rejoignons le rang des
carpes lorsque nous devons dire ce qu’est être juif, en marge de la dimension
religieuse.

Il m’a semblé alors qu’avec la notion de mariage mixte, nous
touchions au cœur même de l’identité juive française. Et effectivement, les
langues se sont déliées, y compris lorsque les personnes n’étaient pas
concernées directement par la mixité. Et j’ai pu recueillir des éléments me
permettant de mieux comprendre l’identité juive laïque.

 

Nous allons aujourd’hui parcourir le
chemin inverse en partant de ce que recouvre l’identité juive laïque avant
d’aller à la rencontre des couples mixtes contactés pendant cette recherche et
après.

 

 

Confrontation de la définition de l’identité juive
avec la sphère religieuse

 

 

Comme mes petits camarades, je me
réfère au critère d’identification des Juifs donné par la Fédération
internationale des Juifs laïcs et humanistes (Congrès de Bruxelles, 1988) : « Est
juive toute personne d’ascendance juive ou se déclarant juif(ve) qui
s’identifie avec l’Histoire, les valeurs éthiques, la civilisation, la
communauté et le destin du peuple juif »
; de manière à sortir du
registre de l’exclusion. Est juif celui qui se sent juif.

 

Nous nous éloignons là de la
définition halakhique stricte, donnée par les religieux où seule la mère juive
peut transmettre. Sans partager le rejet des couples mixtes véhiculé par les
instances religieuses, nous sommes marqués par certaines conceptions héritées
de la sphère religieuse. Ainsi, lorsque j’ai mené mon enquête auprès d’une
centaine de Juifs laïques (138) ou du moins non-pratiquants pour la plupart, j’avais posé comme question un tantinet
provocatrice: « quelqu’un qui n’a pas une mère juive, n’est pas
juif". 43% des répondants étaient d’accord avec cette affirmation. Cette
enquête ne révèle pas forcément toutes les tendances engagées dans la
communauté juive, néanmoins cela vous donne un ordre d’idées.

J’ai souvent retrouvé comme leitmotiv le fait que ce soit la
mère qui transmette le judaïsme. De nombreuses femmes en couple mixte, mais
aussi en dehors des familles mixtes proprement dites, se rattachaient à cette
règle.

 

On dit souvent
que la transmission matrilinéaire du judaïsme est liée au fait qu’on ne peut
être sûr que de la mère. Au temps des Romains, cette conception permettait de
protéger les femmes juives violentées, ainsi que leur progéniture. Mais
aujourd’hui, avec les avancées biologiques, les tests de paternité, ce discours
n’a plus de sens.

On connaît tous des enfants dont le
père est juif et la mère non, portant – du moins pour certains – un nom juif ; ce
qui constitue un marqueur identitaire important. Parmi ces enfants, certains
s’identifient au judaïsme mais ne font pas partie de la communauté, pour les
instances religieuses. Et cette façon de voir est partagée par des Juifs
non-religieux, qui ont conservé ce référent dans leur schéma de pensée, dans
leurs représentations.

 

On note toutefois une évolution pour
la synagogue libérale aux États-Unis en faveur de la bilinéarité. Moïse
n’était-il pas lui-même uni à une femme non-juive ? D’après Catherine Grandsard
(Psychologie et psychopathologie des métis judéo-chrétiens -Propositions
pour une approche spécifique
) : « un enfant né de mère juive
et de père non-juif n’est plus accepté comme Juif s’il n’a pas été élevé dans
le judaïsme et devra se convertir s’il souhaite intégrer une synagogue
libérale. A l’inverse, un enfant dont seul le père est juif est considéré comme
tel sans autre forme de procès dès lors qu’il est élevé dans le judaïsme. 
»
(p.30)

Les partisans de la réforme se retrouvent eux-mêmes aux prises
avec le courant traditionnaliste, opposé, voire même hostile à tout changement.

 

Mais peut-être est-il nécessaire que
les religieux soient si stricts, si fermés car que serait devenu le judaïsme,
sans ce noyau religieux, rigide ? Il se serait probablement dilué au cours des
siècles et des errances. Les Juifs auraient été assimilés comme l’ont été les
Aztèques par les Espagnols. Il nous faut peut-être à nous Juifs laïques, un
garde-fou, qui nous oblige à nous constituer, même si c’est en réaction à ce
que nous observons. Peut-être aussi gardons-nous dans le coin de notre
inconscient, l’idée que le judaïsme perdure quoi que nous fassions, puisque de
toutes manières, la structure religieuse demeure. Mais là, c’est juste une
piste de réflexion que je vous propose, qui nous éloigne un peu des couples
mixtes.

 

Même si le mouvement libéral
commence à se développer en France, quel sens cela peut-il prendre pour des
personnes évoluant en dehors de l’espace religieux ?

Peut-être, à terme, cela contribuera à façonner un autre
regard sur les enfants issus de couples mixtes, notamment lorsque la judéité
est portée par le père.

 

 

La question épineuse de la circoncision

 

Le cœur essentiel de la question des
couples mixtes demeure non pas le couple, mais la transmission aux enfants.

De nombreux couples optent pour un mariage civil. Donc ce
rite de passage n’entraîne pas nécessairement des discordes au sein du couple,
peut-être un peu plus avec les belles-familles. La question de la mixité se
pose avec un peu plus d’acuité à la naissance du 1er enfant. Quand
il s’agit d’une fille, certaines familles poussent un soupir de soulagement,
mais c’est une attitude que j’ai rencontrée aussi parmi des couples juifs,
profondément marqués par la Shoah, qui avaient peur d’inscrire une marque
indélébile et donc repérable sur le corps de leur garçon.

Dans l’enquête sociodémographique
qu’avait menée D. Bensimon, il apparaissait que 92% des couples homogames, y
compris dans les milieux non-religieux avaient circoncis leurs fils. Ce chiffre
tombait à 49 % dans les couples mixtes lorsque le père était juif et à 17%, si
c’était la mère qui était juive. On est donc là aux antipodes de la
transmission matrilinéaire.

 

Alors, il y a plusieurs facteurs
expliquant que la circoncision soit davantage transmise par les hommes.
Brièvement, il y a l’explication psychanalytique qui parle d’identification au
père : être comme le père circoncis ou ne pas l’être comme lui.

Autre explication plus sociologique : nous sommes dans une
société patriarcale. Le modèle de l’homme a tendance à l’emporter. De plus,
dans le judaïsme, en dehors de la transmission véhiculée par la femme, celle-ci
joue un rôle plus mineur. On en revient au rôle prépondérant du père qui influe
alors davantage pour ce qui concerne la circoncision.

 

Quoi qu’il en soit, la circoncision
est un bon indicateur de la transmission de l’identité juive car il fait signe
de l’alliance à Dieu initialement, au peuple juif par la suite. Ce rite n’est
pas neutre, d’autant plus qu’il renvoie pour certains douloureusement à la
Shoah. Il est surtout le signe d’une continuité entre les générations, même si
certains disent qu’ils agissent par hygiène. Ce n’est pas tant circoncire son
garçon qui est important, qu’on le fasse avec un mohal ou avec un chirurgien,
mais le fait ne pas le faire. S’écarter de cette tradition ancestrale, signifie
pour bon nombre de personnes que l’on s’éloigne de l’identité juive. Pour
autant, un enfant non circoncis de père juif peut s’identifier au judaïsme
ainsi que son père. L’absence de circoncision ne signifie pas nécessairement
rupture surtout lorsque l’enfant s’appelle David, Nathan ou Rébecca pour une
fille et de toutes manières sur le plan de l’identité, les chemins empruntés ne
forment pas une ligne droite.

 

 

Les différentes figures de la transmission

 

L’enjeu dans la mixité, c’est donc
essentiellement la notion de transmission. Trois cas de figure peuvent se
présenter :

 

         Dans un premier cas, l’ascendance
juive est écartée ou du moins, reléguée dans un coin de la mémoire ; ce que
craignent, dénoncent les personnes opposées à la mixité. Mais peut-on vraiment
couper avec ses origines ?

Le psychanalyste J.P. WINTER
écrivait à ce sujet, « quel que soit le type de transmission qui va
dominer dans le couple parental, la volonté de transmettre va s’inscrire
profondément au niveau du moi. Mais comme nous savons cliniquement, que nous ne
transmettons pas seulement ce que nous voulons transmettre ; et que nous
transmettons malgré nous, bien souvent des choses que nous croyons ne pas
vouloir transmettre, cette transmission inconsciente se fait au niveau
surmoïque. »
(1992)

En somme, les choses passent sans
que nous en ayons le contrôle et sans que nous soyons nécessairement conscients.
Il me semble alors que c’est aller un peu vite de dire que tel enfant est perdu
pour la communauté juive, car élevé en dehors de tout cadre judaïque.
L’inconscient joue parfois des tours surprenants. Il peut se produire, même à
40 ans, des réveils identitaires, au détour d’un événement, à l’occasion d’une
rencontre, d’un décès etc. Il arrive aussi que ce soit la génération suivante,
qui entame un retour vers les origines.

 

–   
Dans le 2ème cas, on rencontre des familles dont le conjoint juif induit
l’essentiel de la politique familiale. Les enfants baignent alors dans un
milieu judaïque, puisque parfois même le conjoint non-juif est imprégné. Dans
les études qui ont été menées sur les mariages mixtes, on ne parle pas beaucoup
des conjoints non-juifs, de leurs motivations, de leurs réactions. Je ne fais
pas exception à la règle et je m’en excuse. Je voudrais juste dire pour les
Non-Juifs présents dans la salle, qu’ils témoignent souvent d’une ouverture à
l’autre à tel point que parfois, il nous est difficile de savoir qu’ils ne
faisaient pas partie au départ, du groupe juif. C’est ce qu’on appelle
l’imprégnation. Alors bienvenue au club !

 

       Dernier cas de figure, l’enfant peut
être porteur d’une double identification, puisque il est issu d’une double
lignée. La judéité y est transmise sous une forme propre au couple mixte. Ce
qui me paraît être le cas le plus fréquent. Ce qu’il faut savoir aussi sur
cette question, c’est que l’identification au parent juif est également
fonction du sexe de l’enfant. Telle fillette s’identifiera à son papa juif, y
compris quand celui-ci ne revendique pas son identité juive. L’esprit de
contradiction, vous connaissez ? Tel autre enfant, imprégné dès sa tendre
enfance par le conjoint juif, n’aura de cesse de s’en écarter, car ne voulant
pas réparer les torts du parent ayant "commis" un mariage mixte.
J’utilise cette expression car j’ai rencontré des couples mixtes, dont le
conjoint juif formulait comme des regrets, non pas de s’être marié avec telle personne,
mais de n’avoir pas pu fonder un foyer juif. C’est pourquoi il tentait de
compenser par une abondance de données relatives au monde juif ; ce qui peut
accrocher ou faire fuir les enfants concernés. Tout dépend des relations qui
existent entre eux.

 

       Il arrive aussi, mais très rarement,
qu’une répartition s’opère entre les enfants. J’ai vu l’exemple d’une famille
avec un garçon circoncis et une fille baptisée. Mais ce cas de figure ne se
présente guère.

 

 

De l’influence des liens familiaux sur la mixité

 

Alors, comme vous voyez, il n’y a
pas de règles du jeu dans la transmission. C’est la nature des relations
construites au sein de la famille qui déterminent la transmission que ce soit
dans une famille homogame ou mixte.

J’irais même plus loin : la nature des relations
familiales va jouer un rôle non négligeable dans la construction ou non de
relations mixtes.

La famille originelle représente parfois un lieu
d’enfermement dont les personnes cherchent à s’émanciper ; la mixité
intervient alors comme la construction d’un univers différent échappant au
moule affectif initial.

 

Pour d’autres, aux liens familiaux
plus distendus, une distanciation que l’on pourrait qualifier de
« naturelle » s’opère tant avec la famille originelle qu’avec
l’identité juive incarnée par celle-ci. Ne demeure plus alors qu’un sentiment
d’identité juive diffus car non étayé. J’ai rencontré ainsi des personnes
investies plutôt dans le monde français, ne reniant pas leurs origines. Mais ne
parvenant pas à trouver du sens à leur identité juive, ou alors un sens
négatif, pour les petits-enfants de déportés, ces personnes avaient tendance à
se dégager du monde judaïque ; la mixité leur offrant souvent une porte de
sortie. Cette ouverture pouvait s’accompagner d’un sentiment de culpabilité car
soumis à la pression familiale originelle, ils avaient l’impression de rompre
la chaîne des générations.

Il faudrait pouvoir se sortir de cette culpabilisation mais
je n’ai aucun remède à apporter à ces maux à part quelques séances chez le psy
le plus proche…

 

Pour d’autres encore, le noyau
familial originel forme le dernier lien d’expression de l’identité juive ;
le membre juif aura alors tendance à revendiquer pour lui, et ses descendants
un sentiment d’identité juive et une volonté de continuer la chaîne
trans-générationnelle.

Parfois aussi, dans des familles ancrées sur l’ouverture aux
autres, la mixité ne représente qu’une étape logique dans ce processus.

Somme toute, l’insertion dans un couple mixte ne constitue
pas le mécanisme conduisant à une prise de distance apparente ou réelle avec
l’identité juive originelle. Elle résulte des processus engagés au sein de la
cellule familiale dans laquelle nous grandissons.

 

Nous sommes donc loin de l’équation
qu’on entend trop souvent : mixité = disparition de l’identité juive.

L’union mixte vient plutôt parachever un processus déjà
engagé, à savoir l’effritement possible de l’identité juive que l’inverse et
d’autre part, un couple mixte peut aussi être le moyen, le lieu de l’expression
de leur identité juive et de sa résurgence. Je me souviens d’une femme dans un
entretien me disant : « le fait d’épouser un goy, m’a
rendue plus juive
 ». Sa mixité l’a poussée à mettre l’accent sur sa
judéité. En fait, on défend d’autant plus ce qui est menacé.

Si l’on prend les Ashkénazes, pour les immigrés de la 1ère
génération et pour ceux de la seconde, l’urgence était de se faire accepter par
les autres Français, la judéité était comme une seconde peau. A la génération
suivante, le rapport s’inverse. Le fait d’être Français est considéré comme
acquis, l’identité juive peut devenir alors l’objet de la quête identitaire.

 

Au sein d’un couple mixte, le
sentiment d’identité juive, ou sentiment judéitaire peut resurgir lors de cette
quête de soi. C’est ce sentiment judéitaire qui est transmis aux générations
suivantes sous des formes différentes, bien entendu, puisqu’un enfant n’est
jamais la reproduction à l’identique de ses parents.

stenay.gif

L’enfant, nanti de deux histoires familiales plus ou moins
complexes, va réinventer ce qu’il reçoit, y compris les non-dits, ou ce qu’il
croit percevoir. Toute la difficulté va résider dans le fait de trouver un sens
à cet héritage.

A ceci, peut s’ajouter le sentiment d’être toujours
l’étranger de l’autre. Ni juif, ni non-juif… quelle identité adopter pour se
sentir plus en accord avec soi-même et avec l’extérieur ?

 

 

Risques imaginés, risques réels

 

Si un couple mixte constitue
effectivement un risque, il se situe surtout pour l’enfant, en-jeu.

Habituellement, on associe plutôt la
notion de risque avec celui encouru par la communauté juive, sa possible
dilution dans l’air ambiant.

Une des rares enquêtes sociologiques
menées sur les conséquences de la mixité au sein d’un groupe montre en fait que
les mariages mixtes peuvent drainer un gain de personnes et non une perte.

L’enquête citée par Anne
RABINOVITCH. (1992, p.35) « révèle l’existence, dans la communauté de
X, de vingt-huit unions exogamiques, se décomposant ainsi : dans sept cas, le
conjoint juif a rompu toute attache avec la communauté; dans un cas, le
conjoint non-juif s’est converti au judaïsme ; dans 20 autre cas, le
conjoint non-juif partage entièrement les fréquentations de son époux, se
considère comme membre de la communauté, les enfants recevant une éducation
juive. Le mariage exogamique a ici permis non seulement de ne pas affaiblir la
communauté, mais au contraire d’augmenter le nombre de ses membres
 ».

En fait, c’est en ne prenant pas en
compte les enfants de couples mixtes, que l’on risque d’aller vers un
amenuisement du groupe juif ; surtout au moment où la mixité devient de
moins en moins un phénomène minoritaire. A terme, et tous les milieux sont
concernés, il y aura de moins en moins de personnes dont les 2 parents sont juifs.

 

Autre risque imaginé, la fragilité
des couples mixtes. Je m’appuie à nouveau sur les données recueillies par D.
Bensimon. En 1978, le taux de divorcialité était plus élevé que celui des
couples homogames, tout en restant plus faible que celui enregistré dans la
population globale française. Aujourd’hui, il semble que le divorce traverse
plus de couples mixtes, parallèlement à l’augmentation des divorces dans la
société française. C’est là un signe de l’intégration des Juifs à la société
française. Mais dans ces divorces et au cours des entretiens que j’ai menés, il
ne semble pas que la mixité soit en cause.

 

Quant aux enfants, comme l’écrit
Catherine Grandsard, « rien ne permet d’affirmer que les enfants issus
de mariages mixtes rencontrent plus de problèmes dans la vie que la moyenne.
Mais rien non plus, ne permet d’affirmer qu’ils en rencontrent moins…
 »

Il s’agit de ne pas tomber dans la dialectique mixité comme
« source de souffrances » ou comme « richesse ».

Au travers des entretiens que j’ai
effectués, je n’ai pas eu l’impression de me retrouver face à des personnes en
danger, porteuses de quelque chose de spécifique, peut-être, de différent sans
doute. Mais j’éprouve aussi un sentiment de différence face à un Juif
américain. Est-ce que je dois le rejeter pour autant ?

Pour les familles mixtes, c’est
parfois plus le rejet dont elles sont victimes qui pose problème, que la
situation elle-même.

 

 

Conclusion

 

Pour sortir de l’écueil qui consiste
à penser pour ou contre les couples mixtes, il faut envisager deux choses et
c’est là-dessus que je conclurai :

 

En reprenant un des thèmes défendus
par le Centre
Communautaire laïc juif de Belgique, Je cite : « 
Accepter
de marier des couples mixtes, ce n’est pas contribuer à briser un tabou, ce
n’est pas favoriser leur augmentation, c’est seulement être cohérents avec
nous-mêmes et dire que celui qui veut être accueilli au sein de notre
communauté doit l’être, que nous devons vivre dans l’acceptation d’autrui et
non dans son rejet. C’est le refus qui crée l’assimilation, c’est le sentiment
de ne pas se trouver à sa place dans une communauté qui donne envie d’en
sortir. Il faut faire le pari de cette ouverture. C’est vrai personne ne peut
prévoir, on ne peut avoir de certitude sur les répercussions de cette aventure,
cependant nous sommes intimement convaincus que cette voie d’ouverture est la
bonne et qu’elle est la seule possible.
 »

L’intégration des enfants issus de
couples mixtes et désireux de s’inscrire comme les autres enfants juifs au sein
du groupe juif me paraît être un des enjeux les plus importants à défendre au
sein de la mouvance laïque.

 

Parallèlement à cela,
il faut donner l’envie de rester au sein du groupe juif. Mais pour se perpétuer
encore et toujours, le sentiment judéitaire a besoin de s’ancrer dans des
pratiques, quelles qu’elles soient, de manière à donner du corps à l’identité
juive. Sans épaisseur, sans pratiques collectives, l’identité juive peut
effectivement prendre la voie de la dilution ou du moins, être très lourde à
porter.

 

Il faudrait aussi
proposer un ou plusieurs projets collectifs car l’identité juive se nourrit de
collectif. On pourrait dire que la marque
de fabrique, le signe distinctif de l’identité juive, c’est justement
l’empreinte du collectif sur les destins individuels ; la Shoah en étant
l’exemple le plus frappant. Mais peut-être
avons-nous aussi quelque part
la nostalgie d’un certain mode de vie
communautaire que ce soit dans les shtettl, en Afrique du Nord ou ailleurs.

L’adhésion à
un groupe laïque, de quelque tendance que ce soit, répond entre autres choses,
au besoin de vivre collectivement son identité juive, de lui donner une
épaisseur. Car il n’y a rien de plus déséquilibrant que d’être porteur d’une
identité, l’identité juive, si elle ne s’inscrit dans aucun acte, aucun
comportement rythmant la vie. Si le passé traumatisant est la seule référence,
pourquoi des enfants qui hériteraient d’une telle identité auraient envie de
s’en emparer, de la perpétuer ?

           
On peut l’observer lors des fêtes juives, transformées en fêtes familiales. Là
s’exprime le besoin de vivre ensemble un moment de judaïsme, à travers par
exemple la dégustation de cuisine juive traditionnelle. Sans ces bouffées de
judaïsme vécues collectivement, l’identité qui est pourtant l’expression
individuelle par excellence, s’étoufferait.

 

           
Le problème qui se pose est donc de savoir quel contenu donner au fait d’être
Juif laïque. La réponse va dépendre des individus, et des associations.

Pour certains, il s’agit de laïciser les
fêtes juives, en transformant les rituels religieux traditionnels en rites
laïques, en faisant par exemple une lecture laïque de l’Histoire, au moment de
la Pâque juive.

Pour d’autres, comme ce fut le cas pour
notre association l’AACCE, par exemple, il va s’agir de vivre un grand moment
collectif en montant un colloque s’interrogeant sur l’identité juive laïque et
qui a pour effet immédiat, de conforter effectivement l’identité juive des
participants.

D’autres encore se centrent autour du
Yiddish, qui apparaît comme un vecteur structurant d’un certain mode de pensée,
d’une manière d’être.

 

           
Tous ces tâtonnements participent en fait à la construction d’une certaine
forme de laïcité juive qui tente de concilier attachement au judaïsme et à la
France.

C’est à chacun de venir puiser dans
les réservoirs judaïques qui s’offrent à lui et ce, en fonction de la résonance
que ces axes auront sur lui.

Il manque, il me semble, à la laïcité
juive française un fil conducteur, une structure qui permettrait aux Juifs,
pris dans les courants de l’intégration, de se sentir partie prenante d’une
démarche collective. Cette démarche collective pourrait être marquée par des
rites, qu’il nous faut encore trouver, pour mieux nous trouver nous-mêmes.
L’idéal serait peut-être de construire un projet collectif dans lequel chacun
pourrait développer sa propre identité juive.

On peut toujours rêver…

 

 

Je vous remercie.

 

 

Valérie STENAY

II. Données sociologiques

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Données démographiques et sociologiques en France et ailleurs


Données démographiques et sociologiques en France et
ailleurs

 

Les couples mixtes sont un fait de société qui peut poser des problèmes
au peuple juif. Cette contribution s'inspire des enquêtes réalisées par des
démographes de l'Institut du Judaïsme contemporain de l'Université hébraïque de
Jérusalem et de quelques recherches sociologiques menées en France.

 

Données démographiques dans le monde.

 

Depuis une trentaine d'années des démographes juifs lancent des cris
d'alarme. Les mariages mixtes seraient l'un des facteurs du déclin 
numérique de la population juive dans le monde. L'équipe de l'Université de
Jérusalem dirigée par Sergio DellaPergola coordonne la plupart des recherches
menées en diaspora et analyse les informations fournies par des communautés
juives ainsi que par des recensements de la population effectués dans quelques
pays qui posent une question sur l'appartenance religieuse ou ethnique.

Les questionnaires des enquêtes démographiques concernent toutes les
personnes qui habitent sous le même toit. Sergio DellaPergola distingue deux
groupes : les répondants qui disent qu'ils sont juifs : ils
constituent le « noyau » (core) de la population juive. Avec
les autres membres de la famille considérés comme non juifs : les épouses
non juives, les enfants nés  seulement d'un père juif et éventuellement
des personnes d'origine juive, qui ne sont plus de religion juive , le noyau
forme la « population élargie ».

La différence numérique entre ces deux groupes est considérable. Voici
quelques exemples.

En 2001, en Russie, le noyau de la population juive était estimé à 275
000 personnes, la population juive élargie à 520 000. Aux Etats-Unis, en 2001,
selon deux enquêtes, le noyau de la population juive se composait de 5.300.000
Juifs, mais la population  élargie est estimée à 9 ou 10 millions. Aux
Pays-Bas, une enquête signale, en 2000, 30 000 Juifs de descendance
matrilinéaire et 13.000 de descendance patrilinéaire. Au Brésil, selon le
recensement de 1991, 86.000 Juifs étaient une partie des 117 000 personnes de
la population élargie. En  Israël, fin 2001, 5 025 000 Juifs vivaient avec
275.000 non juifs, surtout originaires de l'ancienne Union soviétique. Ces
différences s'expliquent évidemment par les mariages entre partenaires juifs et
non juifs dans les générations qui se sont mariées dans les années 1990 à 2000.
(1)

 

Un autre exemple est l'Allemagne. Depuis la chute du Mur de Berlin le 9
novembre 1989 et la réunification de l'Allemagne fédérale en octobre 1990, plus
de 200 000 Juifs de l'ancienne Union soviétique ont immigré en Allemagne. Cette
immigration est strictement contrôlée par  les autorités allemandes. Le
Conseil central des Juifs en  Allemagne publie régulièrement le nombre des
membres de ses communautés, qui est nettement inférieur à celui des Juifs
« russes » récemment immigrés. En effet, les communautés n'acceptent
comme membres que les Juifs selon la halakha, c'est-à-dire nés d'une
mère juive. En Union soviétique, des hommes de « nationalité » juive
ont souvent épousé des femmes d'une autre nationalité. Aussi,  dans
environ 40% des couples immigrés en Allemagne, seul le père est juif. La mixité
de leur mariage était l'un de leurs motifs du choix de l'Allemagne plutôt que
celui de l'Etat d'Israël (2).

Cette définition de l'identité juive selon la halakha pose
également des sérieux problèmes dans les pays de l'ancien bloc de Varsovie,
membres de l'Union Européenne depuis 2004. Sous les régimes communistes, les
Juifs de ces pays ont souvent occulté leur origine juive et les mariages mixtes
étaient fréquents. Depuis les années 1990, des communautés religieuses se sont
organisées. Des personnes d'origine juive sont en quête de leur judéité. Mais
ces nouvelles communautés sont-elles accueillantes à des Juifs qui ne sont pas
considérés comme tels selon la halakha ? De plus, des Juifs
agnostiques ou athées veulent-ils les rejoindre ?  Des associations
juives laïques comme les nôtres, leur seraient très utiles.

 

Données sociologiques en France

 

Depuis le début des années 1970, quatre recherches sociologiques avec
quelques approches  démographiques apportent des informations sur les
mariages entre Juifs et non Juifs. Les deux premières ont été réalisées par
moi-même (3), les deux autres à la fin des années 1980 puis en 2002
par Erik H. Cohen (4). De plus des  thèses de doctorat, des
études par entretiens, des romans s'intéressent à des mariages mixtes entre
Juifs- et non Juifs.

Cette documentation éclaire l'évolution entre les années 1970 et
aujourd'hui. Dans les années 1970-1980, on parlait de mariages, aujourd'hui
nous parlons de couples mixtes, de cohabitation, de PACS, des couples
homosexuels, de familles recomposées après un ou plusieurs divorces. 
L'institution familiale a changé : cette mutation concerne aussi les 
milieux juifs. En 2002, Erik Cohen évoque brièvement la cohabitation, mais la
sous-estime probablement à 9% des couples interrogés. De plus, autrefois, on
parlait surtout des unions entre Juifs et Chrétiens. Actuellement, on observe
mariage ou cohabitation  de Juif(ves) et Musulman(e)s, Juifs et Noirs ou
Asiatiques, autres mixités moins fréquentes. Dans ces cas, le couple, s'il veut
se  maintenir, doit gérer la pluralité de ses identités.

Globalement, le taux des mariages hétérogames est en constante
augmentation : il serait  passé de 33% dans les années 1966-1975 à
40%  au début des années 2000. Mariage et cohabitation sont de plus en
plus fréquents parmi les Juifs âgés de 20 à 39 ans. En d'autres termes, les
cris d'alarme lancés par les démographes et les communautés juives ne sont pas
entendus dans un pays comme la France, libre et laïque.

Les 20 à 39 ans qui ont répondu à l'enquête socio-démographique menée
par Sergio DellaPergola et moi-même, sont aujourd'hui grands-parents ou même
arrière-grands-parents. La transmission de la judéité doit prendre en
considération ces trois générations.

Dans cette même recherche, nous avons étudié les vagues d'immigration
juive arrivées en France depuis le début du XX° siècle. Nous avons analysé les
réponses à notre questionnaire selon le pays de naissance des enquêtés. Entre
1955 et 1965, la population juive de France a doublé grâce à l'arrivée des
Juifs d'Afrique du Nord. Les mariages mixtes étaient  plus fréquents parmi
les Juifs nés en France que parmi les immigrés. Pourtant, dès qu'ils se marient
en France, il ou elle épousent un(e) partenaire non juif(ve). Et Erik Cohen
constate en 2002 que seulement  18% de ses enquêtés s'opposeraient
fortement à un mariage mixte, si leur fils ou leur fille avait l'intention d'épouser
un ou une non Juif(ve).

Dans les quatre enquêtes ici citées, les hommes sont toujours plus
nombreux que les  femmes à choisir un(e) conjoint(e) non juif(ve). La
définition de l'identité juive selon la halakha : est juif un
enfant né  d'une mère juive, est une décision talmudique en contradiction
avec la pratique patriarcale de l'époque biblique. Cette décision a été prise
au II° siècle de l'ère chrétienne, lorsque le peuple juif était en danger.
Aujourd'hui, elle est ressentie comme une injustice par les pères qui veulent
transmettre leur judéité à leurs enfants. Dans la société française, les
idéologies religieuses, culturelles voire politiques sont transmises par les
deux membres du couple parental. Mieux que par le passé, des femmes juives,
pratiquantes ou laïques, semblent avoir pris conscience de leur rôle
prioritaire dans la transmission de l'identité juive.

N'empêche : c'est une injustice. Parmi les courants religieux,
seuls les réformés, qui s'appellent en France libéraux, ont réfléchi depuis les
années 1960 à ce problème, qui est une menace réelle pour le peuple juif.
Depuis 1983, ils ont accepté la patrilinéarité pour les enfants nés d'un
mariage mixte. Selon ces rabbins, le judaïsme est transmis culturellement et
non pas génétiquement. La transmission est un processus d'éducation dont la
responsabilité  incombe à la mère et au père. Mais cette éducation devrait
être confirmée par une bar ou bat-mitzvah. (5).

Pour nous,  Juifs laïques, être juif et comment être juif est un
choix. Mais ont ne peut pas faire ce choix sans la connaissance du judaïsme, de
ses valeurs éthiques et sans acceptation du destin du peuple juif. Le judaïsme
n'est pas seulement une religion. Il est histoire et cultures. Nous pouvons
jouer un rôle important dans l'acquisition de ces connaissances.

Un couple mixte rencontre des  difficultés comme tous les couples.
Mais dans la mesure où il gère ces difficultés, il est une réussite. Dans le
couple mixte, des cultures se rencontrent dans la vie quotidienne. Cette
rencontre peut être une chance.

En  tout cas, elle exige l'ouverture à l'Autre et sa
reconnaissance.

Doris
Bensimon

 

Notes :

 

1)                  
DellaPergola
( Sergio), Jewish  Demography. Facts, Outlook. Challenges,
Jerusalem, The Jewish People Policy Planning Institute, juin 2003 p.3

2)                  
Bensimon (Doris), Juifs en Allemagne
aujourd'hui
, Paris, L'Harmattan, 2003, pp.111-112 ; 145-149

3)                  
Bensimon (Doris), Lautman (Françoise), Un
Mariage : Deux Traditions : Chrétiens et
Juifs, Bruxelles,

Editions de l'Université de Bruxelles,
1977, 248 p.

Bensimon (Doris) Della Pergola (Sergio),
La population juive de France : socio-démographie et

identité, Jerusalem,
The  Institute of Contemporary Jewry, The Hebrew University of Jerusalem,
Paris,

 Centre National de la Recherche  scientifique,
1984, 436 p.

4)           
Cohen (Erik) L'étude et l'éducation juive en France, Paris, Editions du
Cerf, 1991, 290 p.

               
Cohen ( H. Erik) Les Juifs de France. Valeurs et identités, rapport de
recherche, Paris, 2002, 162 p.

(cf. également L'Arche - n° 538 -
décembre 2002)

5)           
Bebe (Pauline), Isha. Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Paris,
Calmann-Lévy, 2001, pp.205-211)

 

 

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