Paroles d’enfants

Je suis née en 1931, donc au moment ou la guerre a été déclarée, j’avais 8 ans, ma mère était atteinte d’une maladie de cœur et se trouvait hospitalisée à l’hôpital Hôtel-Dieu à Paris .
Si je vous raconte cette histoire, c’est parce qu’elle a son importance pour la suite. Pendant son hospitalisation, j’avais été placée dans un pensionnat .

Le jour de la déclaration de la guerre, la direction a prévenu toutes les familles par courrier, leur demandant de bien vouloir venir chercher leurs enfants, le plus rapidement possible, si personne ne venait les réclamer, ils seraient placés à l’Assistance publique.
Ma mère n’ayant pu être jointe, je me suis retrouvée à l’Assistance publique .

Au bout de quelques jours, j’ai été placée dans une famille dans la Nièvre, où j’ai été fort bien traitée.
Mon séjour a duré plusieurs mois, jusqu’au jour où ma mère est venue me chercher. Je vous raconterais bien ces retrouvailles, elles ont été particulièrement émouvantes. Mais ce n’est pas le sujet du questionnaire.
Après quelques mois de séjour dans le village, nous sommes retournées à Paris.

Nous avons vécu dans un petit hôtel, rue Saint-Gilles, le jeudi j’allais au patronage à la Colonie scolaire (organisation juive dont le siège se trouvait 36, rue Amelot à Paris) et à l’école le reste du temps.
Au cours de l’année 1942, ma mère a de nouveau été hospitalisée à l’Hôtel-Dieu. Pendant ce temps, j’ai été placée à La Varenne Saint-Hilaire dans l’orphelinat qui était sous la responsabilité de la Colonie scolaire.
Un jour du mois de juillet, j’ai été convoquée par la directrice de l’orphelinat, après une petite préparation, elle m’a tendu une lettre qui venait de Drancy, ma mère m’expliquait qu’elle serait sans doute absente pendant un certain temps.

Les enfants sont restés à l’orphelinat, nous allions à l’école, on nous répétait à longueur de temps, quoi qu’il arrive vous ne devez jamais dire que vous êtes juifs.
Vers novembre 1942 la maison a commencé à se vider. Deux fois chaque semaine, deux ou trois enfants partaient en province avec une accompagnatrice. Il me semble que mon tour est arrivé début mars 1943. C’était l’avant-dernier départ. Notre accompagnatrice se nommait Madame Flamant et travaillait pour l’Assistance publique.
Nous avons été placés dans différentes familles, j’ai été placée dans la famille Landais.

Nous étions neuf enfants, j’étais l’aînée, donc la responsable de toutes les bêtises . Une fois elle m’a fait remplir un bocal avec du sucre en poudre, quelques jours après, elle en a besoin et s’aperçoit que le niveau a baissé, elle me fait déshabiller, m’attrape par les épaules et m’envoie rouler dans un champ d’orties qui se trouvait devant la maison.

J’étais son souffre-douleur, je recevais presque tous les jours une bonne raclée, un soir, tout le monde était couché, la porte de la maison n’était pas fermée, elle m’a ordonné d’aller la fermer, sachant très bien que je ne pourrais jamais y arriver. Elle m’a laissé pleurer toute le nuit, jusqu’au moment où je me suis endormie sur le carrelage.
Je pourrais vous raconter beaucoup d’autres histoires du même genre pour vous convaincre que j’étais son souffre-douleur et qu’elle me martyrisait.
L’instituteur s’est aperçu que mon dos et mes jambes étaient couverts de zébrures, d’hématomes, de traces de coups, il n’a rien dit.

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Il a demandé à Madame Landais où il devait s’adresser pour envisager une entrée au collège et m’a fait passer le BEPC .

L’examen réussit, l’accord pour le collège étant positif, le 1er octobre je rentrais au collège de Cosnes-sur-Loire.
J’étais interne, le samedi, le dimanche, les jours fériés, et les vacances je les passais chez une correspondante, Madame Quiquemelle. Cette famille se composait d’une maman, d’une jeune fille de 16 ans, d’un garçon de 12 ans et d’un père prisonnier en Allemagne. Cette famille était catholique, très pratiquante, j’avais l’âge de la communion ; le curé de la paroisse a écrit à Paris pour se procurer mon certificat de baptême. Après une réponse négative, mon baptême, ma communion et la confirmation ont été faits dans la foulée. Mais je n’ai jamais dit que j’étais juive.
J’ai accompli ma scolarité ; la sixième en 1943-1944, la cinquième en 1943-1945.

En août 1945 quand j’ai compris que la guerre était terminée, j’ai avoué que j’étais juive. J’ai demandé à Madame Quiquemelle qu’elle me paye mon billet de train. Après un refus pour des raisons de responsabilité, de sécurité, j’ai menacé de faire de l’auto-stop.
J’ai promis de téléphoner sitôt arrivée à Paris. De la gare de Lyon, je me suis rendue rue Amelot (Colonie scolaire) où j’ai été accueilli avec des larmes et des baisers.
Ceci est le résumé de quelques années de ma jeunesse, mais il ne peut être le reflet de la souffrance endurée ; pendant et tout le restant de ma vie.

Ginette Los