IRAN

Le désarroi face au nucléaire iranien

édition du Monde du 22.01.08

 

Les ministres des affaires étrangères des pays traitant le dossier nucléaire iranien (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Russie, Chine) doivent se réunir mardi 22 janvier à Berlin pour discuter de nouvelles sanctions contre l'Iran à l'ONU. L'Iran refuse toujours de suspendre l'enrichissement d'uranium. La diplomatie patine.

 

Si une troisième résolution de sanctions est votée -ce qui n'est pas acquis-, tout porte à croire que son contenu sera modeste. Le dernier train de sanctions remonte à mars 2007. Depuis, rien. La Russie et la Chine ne veulent pas entendre parler de mesures coercitives fortes.

L'idée de sanctions européennes supplémentaires contre l'Iran, prônée par Nicolas Sarkozy pour contourner les blocages à l'ONU, n'a pas non plus progressé. L'Europe n'a pris aucune décision concrète.

Il est possible que rien ne bouge avant le mois de mars, date des prochaines élections législatives en Iran. C'est aussi, grosso modo, le délai pour que le "plan de travail" élaboré entre Téhéran et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) soit mené à bien. L'objectif de ce plan est d'éclaircir des pans passés du programme iranien. La Russie et la Chine veulent lui donner une chance, gagner du temps, ne pas accabler l'Iran.

Le directeur de l'AIEA, Mohamed ElBaradei, s'est récemment rendu en Iran, où il a été reçu par l'ayatollah Khamenei, et a passé un accord. Son voyage semblait être un contre-feu au déplacement de George Bush au Proche-Orient. Le président américain a déclaré que l'Iran était une "menace pour la sécurité des nations" et le "principal parrain du terrorisme dans le monde". La diplomatie piétine aussi parce que, ces dernières semaines, l'administration Bush, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, se sont consacrés à réparer les dégâts causés par le rapport des agences de renseignement américaines, publié le 3 décembre 2007. La phrase la plus citée de ce rapport ("A l'automne 2003, l'Iran a arrêté son programme militaire nucléaire") a eu pour effet d'atténuer la perception de la menace et le sentiment qu'il y avait urgence à agir.

 

Pourtant, cette même phrase contenait un constat essentiel : elle établissait la nature militaire du programme.

 

L'Iran a toujours prétendu qu'il était pacifique. La Russie dit qu'elle n'a jamais vu de preuve du contraire. L'AIEA n'a pour sa part jamais formulé d'avis sur ce point, se disant incapable de trancher, faute d'accès suffisant aux personnes, aux documents et aux sites.

En toute logique, si on se fie à ce rapport, le "plan de travail" de l'AIEA avec l'Iran ne devrait jamais aboutir. En effet, si l'Iran fait vraiment la transparence sur l'historique de son programme nucléaire, il apparaîtra à un moment donné que le programme visait la fabrication de l'arme nucléaire. Terrible aveu, auquel Téhéran pourra difficilement se résoudre.

La France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont affirmé que rien dans le rapport américain ne permettait de minimiser le danger émanant de l'Iran. Tant que l'enrichissement d'uranium continue - c'est le volet le plus difficile du programme nucléaire, à usage dual, civil ou militaire -, tous les soupçons perdureront.

Mais un autre élément contenu dans le rapport suscite de vives inquiétudes, qui ne sont guère exprimées publiquement par les responsables occidentaux. Il s'agit de la mention d'activités d'enrichissement d'uranium qui seraient restées clandestines, distinctes de celles qui ont été découvertes en 2002 à Natanz, au sud de Téhéran.Cela avait déjà été évoqué en novembre 2007, dans le dernier rapport de M. ElBaradei. Or voilà que, selon le renseignement américain :

 

"Pour la production d'uranium hautement enrichi destiné à une arme (nucléaire), l'Iran utilisera probablement des installations clandestines plutôt que ses sites nucléaires déclarés."

 

Où sont ces installations restées secrètes à ce jour ? S'agit-il des expérimentations faites sur des centrifugeuses P2, de "deuxième génération", livrées clandestinement à l'Iran en provenance du Pakistan ? A quel point l'utilisation d'une telle technologie accélérerait-elle l'acquisition de matière fissile suffisante pour faire une bombe ou atteindre le seuil militaire nucléaire ?

L'AIEA n'est pas en mesure de répondre. Depuis deux ans, elle a été privée par le régime iranien de la possibilité d'effectuer des inspections larges et inopinées. Elle a reconnu que sa connaissance du programme est allée "en décroissant".

Ces derniers mois, les signes d'enlisement du dossier se sont accumulés. Le processus des sanctions internationales apparaît en panne. L'administration américaine est affaiblie. Elle a donné à ses alliés, en Europe et au Proche-Orient, l'impression d'être désorientée, prise de court par le rapport de ses propres agences. Celui-ci relèverait d'un règlement de comptes entre responsables américains, après les manipulations d'informations qui ont conduit à la guerre en Irak, en 2003.

C'est dans ce contexte embrouillé que deux événements militaires se sont produits. Le 6 septembre 2007, l'aviation israélienne a bombardé un site en Syrie où, selon les Américains, se construisait une centrale nucléaire de type nord-coréen. Le 6 janvier 2008, des navires américains appareillant dans le détroit d'Ormuz étaient "provoqués" par des vedettes des Gardiens de la révolution iraniens.

Le rapport du renseignement américain, par son impact, a sans doute écarté le scénario d'une action militaire américaine contre l'Iran. Mais c'est désormais la possibilité d'une initiative israélienne qui est mentionnée. "Nous n'écartons aucune option", a dit le premier ministre, Ehoud Olmert, le 14 janvier.

 

"Le danger d'une guerre existe", a déclaré mi-décembre Nicolas Sarkozy au Nouvel observateur, "les Israéliens considèrent que leur sécurité est vraiment menacée".

 

La France vient d'annoncer la création d'une base militaire à Abu Dhabi, face à l'Iran. George Bush a menacé l'Iran de "conséquences sérieuses" si des navires américains étaient "attaqués" dans la région. L'enjeu semble être de faire croire à l'Iran que l'usage de la force n'est pas écarté.

Le régime des mollahs, tout en étant agité de divisions, ne cède toujours rien. Il fait tourner ses centrifugeuses et attend qu'une nouvelle administration s'installe à Washington. Le temps qu'il reste avant qu'il ne franchisse la ligne rouge de la maîtrise technologique d'une capacité militaire demeure une inconnue fondamentale.

Natalie Nougayrède

Iran

———

jpg_tertrais_3.jpgAttendue depuis plusieurs mois, la publication du rapport de la communauté américaine du renseignement sur le programme nucléaire iranien est, si l’on ose dire, une petite bombe, dont les effets politiques et diplomatiques vont être considérables. Mais ce rapport est en fait beaucoup plus inquiétant qu’il n’y paraît.

D’abord, deux bonnes nouvelles.

La première est que la communauté américaine du renseignement vient de faire la preuve de son indépendance : dire d’emblée que les activités militaires de l’Iran ont été interrompues fin 2003 ne va pas exactement plaire aux faucons de l’administration Bush, et en particulier au vice-président Cheney…

La seconde est que, de l’avis des espions américains, la stratégie de pression internationale est utile et fonctionne bien, puisque c’est elle qui aurait conduit à cette décision iranienne de 2003.
Malheureusement, le rapport ne s’arrête pas là, et nous dit ensuite beaucoup de choses inquiétantes.

Plusieurs points méritent d’être soulignés.

Premièrement, l’existence d’un programme parallèle, à vocation strictement militaire, depuis le milieu des années 1980, est confirmée pour la première fois.

Deuxièmement, personne ne sait si ce programme demeure suspendu ou s’il a repris : en effet, le rapport ne s’engage pas sur ce qu’il en est advenu après juin 2007, et dit par ailleurs que deux agences de renseignement ont des doutes sur l’arrêt complet de toute activité à visée militaire.

Troisièmement, l’on apprend, et c’est une vraie surprise pour tous les experts du dossier, que Téhéran aurait importé de l’étranger de la matière fissile de qualité militaire, sans que l’on sache ce que l’Iran a pu faire de cette matière fissile…

Quatrièmement, les spécialistes américains nous disent clairement qu’au minimum Téhéran veut maintenir une “option nucléaire”, c’est-à-dire se garder la possibilité à tout moment de faire une bombe atomique.

Cinquièmement enfin, la communauté américaine du renseignement est devenue un peu plus pessimiste sur le temps qu’il faudrait à l’Iran pour produire dans ses propres installations suffisamment d’uranium hautement enrichi pour fabriquer la bombe : alors qu’elle évoquait traditionnellement la période 2010-2015, elle n’exclut pas désormais que cela puisse arriver dès 2009.

Le problème nucléaire iranien reste donc entier, et tout cela devrait conforter la communauté internationale dans sa demande réitérée de suspension des activités d’enrichissement conduites par Téhéran. Car même en admettant que les activités strictement militaires de l’Iran soient encore dormantes, il faut rappeler ici que les installations “duales” – celles qui peuvent servir soit à des fins civiles, soit à des fins militaires – continuent de fonctionner…

Dans l’usine d’enrichissement de Natanz, en effet, les centrifugeuses P1 installées sont de plus en plus nombreuses, et commencent à fonctionner en cascade. Sans compter que le mystère demeure entier sur les centrifugeuses P2, plus modernes, dont l’Iran a acheté la technologie au Pakistan, et qui sont peut-être aujourd’hui testées dans une installation secrète.

Mais, paradoxalement, le problème est subitement devenu beaucoup plus difficile à régler. Car le premier effet politique de la publication du texte américain est de réduire à néant la perspective de nouvelles sanctions unanimes par le Conseil de sécurité.
Depuis mardi soir, la Russie et la Chine font savoir qu’il est absolument hors de question, dans ces conditions, de voter une nouvelle résolution à l’ONU.

Ainsi, alors même que la communauté américaine du renseignement nous dit que les pressions internationales ont fait preuve de leur efficacité, puisqu’elles auraient poussé l’Iran à interrompre ses activités militaires, pour un temps au moins, à la fin 2003, la conséquence de la publication de son rapport est de rendre désormais beaucoup plus difficile la poursuite de ces pressions…

A n’en pas douter, on doit se réjouir à Téhéran.

Le Monde. édition du 08.12.07.
Bruno Tertrais est maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, auteur d’Iran, la prochaine guerre (Editions du Cherche Midi, 2007).

Du Rififi au yiddishland

15 h

Table ronde sur les personnages juifs dans le polar

animé par Henri Sztanke avec la présence de:

Jérome Charyn

Thierry Jonquet

Guy Konopnicki

Maud Tabachnik

17 h

Inauguration à la Mairie du 3è arrt

de l’exposition suivi d’un cocktail sous la Présidence de Pierre Aidenbaum

L’après ANNAPOLIS

Rencontre – débat

« L’après ANNAPOLIS »

avec Vladimir SPIRO et Gérard AKOUN

Directeurs de la Radio Judaïques FM-94.8 Mhz.

Co-animateurs tous les vendredis matin de l’émission politique « Pleins feux »

A l’initiative du Président G.Bush, une conférence internationale sur le conflit israélo-palestinien était prévue à la fin du mois de novembre 2007 à d’Annapolis ( Maryland ), avec la présence espérée de ministres, du Quartette, de l’Union européenne, de l’ONU, des Etats-Unis et de Russie, ainsi que de certains pays arabes tels que l’Egypte, la Jordanie, le Koweït et même la Syrie.
Comment s’est déroulée cette conférence et quels en sont les résultats concrets ?

Au moment où s’édite ce programme on constate que ce sommet suscite de la part d’un certains nombre d’observateurs, un certain scepticisme, confortés par la situation de tension qui règne au Moyen- Orient : au Pakistan, en Irak, au Liban, à Gaza, sans parler de la problématique iranienne.

Les trois personnages-clés du sommet, G.Bush, E.Olmert, M.Abbas se trouvent dans une situation de grande faiblesse politique. Malgré les obstacles, souhaitons que Condoleezza Rice qui estimait que : « des chances raisonnables de succès existent » à Annapolis n’aura pas été démentie.
Quelles sont les chances de voir renaître, enfin, le processus de paix ?

Quelques semaines après Annapolis nos deux invités, V.Spiro et G.Akoun en tant qu’observateurs avisés, commentent les faits et s’efforcent de répondre aux questions abordées ensemble lors du débat.

Débat animé par Henri Bielasiak et Jacques Dugowson. P.a.f.

La cafétéria vous accueille de 19h à 20h.
La Bibliothèque du Centre Medem est ouverte à partir de 19h.

Du Rififi au Yiddisland

à compter du 15 janvier 2008

Mairie du 3 ème arrondissement

Exposition

« DU RIFIFI AU YIDDISHLAND »

« Le genre policier, tant décrié, est devenu protéiforme, c’est-à-dire d’une grande richesse. L’histoire du monde juif transparaît clairement et toutes ses facettes actuelles sont représentées, non plus seulement par des stéréotypes, mais par des êtres complexes, faits de chair et de sang. »
jpg_affiche_du_rififi_web.jpg

Le 19 janvier à 15 heures

Inauguration de l’exposition

Table-ronde : « Les personnages juifs dans le polar »
animée par Henri Sztanke

avec
Joseph Bialot,Jérôme Charyn, Thierry Jonquet, Guy Konopnicki,Maud Tabachnik….. et bien d’autres surprises

sur le thème : « Les Juifs dans les polars. ».

Talila

Récital

Talila

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et ses musiciens :

Teddy LASRY au piano et à l’accordéon
Pierre MORTARELLI à la contrebasse
Joseph FARTOUKH , percussions

Nous retrouvons Talila et ses musiciens avec un plaisir toujours renouvelé,
où se mêlent avec talent voix, humour et tendresse, dans un répertoire aux multiples facettes.

Réservations auprès de Marie au 01 42 02 17 08

P.a.f..

Avant première:”Victimes contre bourreaux”

Avant première:

en présence de membres de l’équipe de réalisation et de Katy Hazan
historienne

Dans la collection documentaire “La Résistance” jpg_la_resistance.jpg

produite par Les Films de la
Croisade et Yami 2, en coproduction avec France 2 et France 5.

“Victimes contre bourreaux”

Documentaire de 52′, France 5 – un film de Christophe Nick et Patricia
Bodet.

Les communautés juives vivant en France ne se sont pas laissé faire,
contrairement à ce que beaucoup croient. Si les trois quarts des juifs ont
échappé à la déportation, c’est d’abord parce qu’ils ont résisté. Dès
l’arrivée des nazis à Paris, le 14 juin 1940, une coordination secrète
d’oeuvres caritatives juives se met en place sous le nom de comité Amelot.

Au début, ses animateurs souhaitent tout simplement venir en aide aux
populations persécutées. Ils vont très vite affronter les SS, les rafles, la
ségrégation et la spoliation. Leur attitude, “le refus d’obéissance”, va
petit à petit gagner une grande partie des organisations juives de France.

Des manifestations devant les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, à
la coordination avec les déportés de Drancy, de la fabrique de faux-papiers
à la création des filières de camouflage et de réseaux de sauvetage, c’est
l’improvisation dans l’urgence de la résistance des victimes à leurs
bourreaux.

Les historiens décrivent les mécanismes de la solution finale en France et
comment les organisations juives y ont fait face, le passage à des formes de
lutte de plus en plus radicales, clandestines et illégales. L’impact des
rafles de l’été 1942 sur la société civile française modifie en profondeur
l’attitude de l’ensemble du corps social. Les organisations juives peuvent
désormais utiliser le tissu social de la France profonde pour sauver les
juifs.

Benazir Butto (3)




Ils ont tué Massoud,

Ils ont tué Massoud,

Daniel Pearl,

ils ont tué Benazir

 

C'est une femme, d'abord, qu'ils ont tuée.

Une femme belle.

Une femme visible, et même ostensiblement, spectaculairement visible.

Une femme qui mettait son point d'honneur, non seulement à tenir meeting dans l'un des pays les plus dangereux du monde, mais à le faire à visage découvert, dévoilé -l'exact contraire de ces femmes honteuses, cachées, créatures de Satan et donc damnées, qui sont les seules femmes que tolèrent ces apôtres d'un monde sans femmes.

Ils ont tué un juif avec Daniel Pearl.

Ils ont tué un musulman modéré, un lettré, un esprit libre, avec le commandant Massoud.

Ils ont tenté, avec Salman Rushdie, de tuer, pendant des années, un homme qui osait dire qu'être homme c'est aussi, parfois, choisir de choisir son destin.

 

Eh bien, avec BB, Benazir Bhutto, ils ont tué un peu tout cela; mais ils ont aussi tué une femme, cette femme, ils ont éteint cette intolérable provocation qu'était l'éclat de ce visage montré, juste montré, exposé dans sa nudité sans défense et magnifiquement éloquente -ils ont tué celle qui, parce qu'elle était cette femme, parce qu'elle était ce visage de femme à la fois démuni et d'une force sans réplique, parce qu'elle vivait son destin de femme en refusant cette malédiction qui pèse, selon ces nouveaux fascistes que sont les jihadistes, sur le visage humain des femmes, ils ont tué, donc, celle qui était l'incarnation même de l'espoir; de l'esprit et de la volonté de démocratie, non seulement au Pakistan, mais en terre d'islam en général.

Pervez Musharraf était un faux adversaire d'Al-Qaeda. II feignait de les combattre alors que, par son double jeu, ses alliances occultes, sa façon de tenir sous le coude son stock de terroristes et de les lâcher un à un, au compte-gouttes, selon les besoins de son alliance compliquée avec son grand ami américain, il faisait leur jeu en sous-main.

 

Benazir, si elle avait gagné, que dis-je? si elle avait vécu, simplement vécu, n'aurait cessé de dire, par sa vie même, son être, sa présence, bref, son témoignage, qu'elle était leur adversaire résolue, absolue, irréductible: elle était, pour ces gens, une menace, mieux que politique, ontologique ; elle ne leur aurait pas fait de quartier, ils le savaient, ils l'ont tuée.

Je repense à elle, cet après-midi de décembre 2002, à Londres, à l'époque où j'enquêtais sur la mort de Daniel Pearl et, donc, sur cette poudrière, cette base arrière d'Al-Qaeda, parfois même cette base avancée qu'était déjà le Pakistan : belle, oui; incroyablement courageuse dans sa volonté, coûte que coûte, de revenir dans ce pays qui lui avait déjà arraché, dans un parfum de tragédie shakespearienne, ses deux jeunes frères et son père.

Je revois son père, Zulfikar Ali Bhutto, il y a trente-cinq ans maintenant, juste avant la libération du

Bangladesh et l'éclatement de ce Pakistan dont il était déjà le Premier ministre -je le revois tel qu'il était alors, ignorant du destin qui l'attendait, élégant, raffiné, pakistanais et anglophile, musulman et occidental, croisée vivante des deux cultures, enfant naturel et réussi de deux grands lignages culturels dont nul, en ce temps-là, n'imaginait que tant de forces allaient, si vite, tenter de les opposer. Ils étaient, ces gens, le sel de la terre pakistanaise. ils étaient de ceux qui pouvaient empêcher, non seulement ce pays, mais cette région du monde de sombrer dans le chaos.

Benazir Bhutto est morte et, un peu comme le 9 septembre 2001, jour de la mort de Massoud, je ne peux m'empêcher de m'interroger sur le scénario macabre qu'ont, forcément, en tête ses assassins -je ne peux m'empêcher de me demander de quoi cet événement énorme, cet autre coup de tonnerre, peut bien être le prélude.

La meilleure façon de répondre c'est d'agir, et d'agir vite. La meilleure, la seule façon de répliquer à ce nouveau et terrible défi c'est de donner, tout de suite, toute son importance symbolique à l'événement. Mme Bhutto sera inhumée dans les tout prochains jours dans ce pays martyr qu'est, plus que jamais, le Pakistan.

Il faut que soient là, pour l'accompagner dans ce voyage ultime, Angela Merkel, George Bush, Gordon Brown, les autres.Il faut que notre président, Nicolas Sarkozy, consente à interrompre ses vacances pour aller dire, au cœur de cette fournaise où une religion devenue folle nourrit de plus en plus souvent le crime, que l'espérance des peuples est moins, comme il l'a imprudemment déclaré il y a quelques jours, dans la foi que dans la démocratie et le droit.

 

II faut que derrière la dépouille de cette grande dame, comme jadis derrière celle d'Anouar al-Sadate ou de Yitzhak Rabin, soit présent le plus grand nombre possible de chefs de gouvernement et d'État, faisant de cette célébration funèbre une manifestation silencieuse et mondiale en faveur des valeurs de la démocratie et de paix.

Benazir Bhutto n'était chef ni de gouvernement ni d'État ? C'est vrai. Mais elle était davantage. Elle était un symbole. Et elle est, désormais, un étendard. Derrière son nom vont désormais se ranger tous ceux qui n'ont pas fait leur deuil de la liberté en terre d'islam. Et derrière son linceul doivent, d'ores et déjà, se tenir et se recueillir tous ceux qui croient encore que l'emportera, en Islam, le bon génie des Lumières sur celui du fanatisme et du crime.

 

Bernard-Henri Lévy

 

 

 

Benazir Butto (2)




Femme courage

Femme courage

La mort accompagnait ses pas. Depuis longtemps. Depuis que son père, Ali Bhutto, avait fini au bout d'une cor­de, en 1979. Depuis qu'elle avait échappé à un premier attentat, en 1986. Et depuis son retour d'exil, le 18 octobre, lorsque, dans son camion blindé, elle avait miraculeusement évité la double explosion qui tua près de cent cinquante personnes.

Le 27 décembre, elle est tombée pour de bon. Cet assassinat particulièrement odieux bafoue les principes les plus généreux de la condition humaine. Pas de liberté dans le sang. Pas de démocratie avec des bombes. Peu importe que la belle Benazir Bhutto, élevée à l'occidentale, fût riche et au fond peu croyante, malgré le Coran qu'elle tenait ostensiblement sous son bras à son retour au Pakistan. Peu importe qu'elle et son clan ne fussent pas des modèles de vertu. Benazir Bhutto avait rompu avec sa jeunesse dorée loin du pays natal pour se forger un destin qui la dépassait. Elle incarnait un espoir pour des millions de Pakistanais. Et ce sont les tenants de l'obscurantisme religieux qui, en l'assassinant, ont tué cet espoir de démocratie et de liberté.

On retiendra de cette femme, et pas n'importe laquelle, puisqu'elle fut la première à gouverner un pays musulman, que par-dessus tout elle avait du courage. Elle se savait menacée, mais considérait le danger qui guettait le Pakistan bien plus grave que le danger qui la guettait, elle. « Je prie pour le meilleur et me prépare pour le pire », écrivait-elle le 20 septembre dans le Washington Post. Son voile blanc sera à jamais son linceul.

 Editorial d’Eric Fottorino. Le Monde daté du 29/12/07

 

 

Bénazir Butto




Editorial Le Monde daté du 27/12/2007

Editorial du journal Le Monde daté du 27/12/2007. Page 2.

 

Benazir Bhutto a été assassinée. Elle avait accepté son destin. Perçue comme une menace par le pouvoir, comme une ennemie par les islamistes pakistanais et Al-Qaida, comme une alliée de l'Amérique, « la Sultane » savait, en revenant le 18 octobre de huit ans d'exil, qu'elle risquait sa vie. « J 'ai mis ma vie en danger et je suis rentrée parce que je sens que ce pays lui-même est en danger », a-t-elle dit à ses partisans, jeudi 27 décembre, lors d'un meeting électoral à Rawalpindi, juste avant de mourir.

 

Le soir de son retour au pays, déjà, un attentat avait failli lui coûter la vie, cette fois à Karachi. Benazir Bhutto pouvait paraître immortelle, mais elle était fata­liste, et savait qu'elle était une cible pour les déstabilisa­teurs du Pakistan. Son assassinat a eu lieu à deux semai­nes d'élections législatives à l'issue incertaine, qui pou­vaient autant faire basculer le pays dans la violence que sceller un nouveau pacte politique et faire d'elle un pre­mier ministre pour la troisième fois de sa vie. Il illustre cette réalité : le Pakistan est une ligne de front.

 

Le « Pays des purs », détenteur de l'arme atomique et nid d'Al-Qaida, en conflit avec l'Inde au Cachemire et jouant un jeu trouble dans les guerres d'Afghanis­tan, est en première ligne. Le président Pervez Musharraf, fragilisé par la talibanisation du pays, discrédité au sein de la société pour son refus de rétablir la démocra­tie, est lui-même un homme en danger. Les démocra­tes souhaitent son départ et les djihadistes veulent sa mort. L'armée et les puissants services de renseigne­ments, qui paient parfois un lourd tribut à la lutte contre l'islamisme armé, sont paradoxalement eux­mêmes minés par l'idéologie des talibans - mouvement qu'ils ont créé dans les années 1990 pour mener une guerre en Afghanistan - et par celle d'Al-Qaida.

 

« Ce pays lui-même est en danger », affirmait Benazir Bhutto juste avant d'être mortellement frappée. En état de guerre dans certaines provinces, instable, divi­sé, le Pakistan est aussi un danger pour la région, voire pour le monde. Sans pouvoir légitime, sans retour à la démocratie, sans une politique économique viable, sans une lutte politique et militaire efficace contre les djihadistes, sans une stratégie diplomatique claire en Afghanistan, le Pakistan est une menace qui va en s'ac­centuant au fil des ans.

 

La communauté internationale, notamment Wash­ington, premier allié d'Islamabad, apparaît désarmée. Elle soutient Pervez Musharraf tout en s'en méfiant, elle craint la progression islamiste sans pouvoir l'arrê­ter, elle s'enlise dans la guerre afghane contre des talibans dont les sanctuaires sont au Pakistan. Aujour­d'hui, il y a une urgence : définir une stratégie. L'as­sassinat de Benazir Bhutto doit servir de signal d'alar­me.

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